Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/939

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anglo-saxonnes. C’est dire qu’ils n’ont pu prendre à l’humour américain que ses procédés extérieurs et ses moyens mécaniques. Ils sont restés eux-mêmes ; mais ils ont contracté des habitudes d’insistance dans la plaisanterie, de lourdeur et de lenteur, quelque chose de gêné, de gauche et de mal à l’aise, ainsi qu’il arrive quand nous endossons des vêtemens qui ne sont pas faits pour nous.

Une autre manie, qui a sévi dans ces derniers temps, et qui ne nous fait pas autrement honneur, ç’a été le goût de la mystification. Nous en avons dû la recrudescence au farceur « génial » qui opérait sous le nom de Lemice-Terrieux. C’est lui qui, lors des décrets contre les congrégations religieuses, envoie au Figaro une relation de l’expulsion des jésuites de Chandernagor ; l’article est inséré, soulève dans la presse des commentaires indignés, met le gouvernement dans une situation très embarrassante, quand une enquête officielle prouve qu’il n’y a jamais eu à Chandernagor ni jésuites, ni, partant, expulsion de jésuites. C’est lui qui inonde Paris de lettres de faire-part annonçant le mariage de M. Paul Masson, ancien magistrat, avec Mlle Tittée, du Dahomey, en résidence au Jardin d’Acclimatation. Il publie des « Réflexions et pensées du général Boulanger, extraites de ses papiers et de sa correspondance intime, » un « Carnet de jeunesse du prince de Bismarck ; » et la presse sérieuse commente ces ouvrages avec componction. Il annonce une conférence à la Bodinière sur la fumisterie et les fumistes et entretient posément son auditoire de tous les modes de chauffage. Il adresse aux journaux des lettres qui posent des candidatures imprévues à l’Académie française, ou promettent des libéralités magnifiques au nom de donateurs qui n’ont pas été consultés. Il s’attache tout particulièrement à deux ou trois victimes, qui, grâce à lui, vivent désormais dans une sorte de perpétuel affolement, et, chaque matin, en ouvrant leur journal, se demandent avec angoisse quelle nouvelle absurde il va leur falloir démentir. Lemice-Terrieux ne pouvait manquer d’avoir des imitateurs : un vent de mystification a soufflé sur notre société. Ce genre de facéties a généralement passé pour être du plus mauvais goût ; néanmoins, il a amusé certaines gens. Ou, pour mieux dire, les mêmes personnes les ont trouvées d’un goût déplorable quand elles atteignaient leurs amis, et « vraiment amusantes » quand elles atteignaient des gens qu’elles n’aimaient pas.

Faut-il ajouter que nos humoristes professent à l’égard des clowns et autres farceurs de cirque une sympathie admirative ? Ils n’en parlent qu’avec respect ; ils trouvent à leurs cabrioles une signification