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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/951

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s’empêcher de penser que, plus tard, Godwin a dû mainte fois reprocher à sa femme la faiblesse d’une argumentation qui repose tout entière sur l’origine surnaturelle de la raison et des sentimens moraux. Mais, d’ailleurs, Mary Wollstonecraft n’insiste guère sur ses syllogismes. Après avoir rapidement établi que la femme est, par nature, l’égale de l’homme, elle ne s’occupe plus que de nous exposer les motifs qui, dans notre société soi-disant civilisée, empêchent la femme de faire valoir son égalité naturelle.

Le principal de ces motifs est que l’homme, pour maintenir l’ascendant que lui donne sa vigueur physique, a besoin d’être intellectuellement supérieur à la femme : à ce prix seulement, il peut rendre sa domination permanente et sûre. La faiblesse, avec la soumission qui en est la conséquence, convient mieux à ses intentions tyranniques que l’indépendance, qui serait la suite certaine de l’égalité. Et la femme, d’autre part, satisfaite des hommages que l’homme lui accorde, se résigne à lui faire le sacrifice de ses facultés. « Quoi de plus révoltant que de voir un homme s’élancer avec sollicitude pour ramasser un mouchoir ou pour fermer une porte, alors que la dame à qui s’adressent ces prévenances n’aurait que deux pas à faire pour les rendre inutiles ! » C’est par de semblables ruses que l’homme, depuis des siècles, étouffe chez la femme la voix de la raison, que la nature a mise en elle comme en lui. Il lui interdit toute étude sérieuse, il la tient à l’écart des grands intérêts de la vie, il l’accoutume à ne s’occuper que de ses toilettes, il la déprave au point qu’elle-même finit par prendre goût à sa servitude. « Enfermées dans des cages comme des oiseaux, les femmes n’ont rien à faire qu’à se lisser les plumes, et à sauter, avec une majesté comique, d’un perchoir sur l’autre. On pourvoit, en vérité, à leur nourriture ; mais leur santé, leur liberté, leur vertu, on les leur enlève en échange. »

Je dois ajouter que, d’une façon générale, Mary Wollstonecraft est peut-être plus sévère encore pour la femme que pour l’homme, dans la peinture qu’elle fait des vices de son temps. Elle s’indigne contre l’opinion qui attribue aux femmes plus de sensibilité, de pitié, de bonté qu’aux hommes. « Comment les femmes pourraient-elles être justes et généreuses, s’écrie-t-elle, étant esclaves de l’injustice et de la cruauté ? » Elle accuse son sexe de bassesse, d’hypocrisie, d’égoïsme et de manque de cœur : elle le montre descendu au plus bas degré de la dépravation. Mais elle affirme que cette dépravation n’est que la résultat de sa servitude. Qu’on affranchisse la femme, qu’on lui permette de « revenir à sa véritable nature, » qu’on l’autorise à « partager avec l’homme les