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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/848

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Tels sont donc les auspices sous lesquels Stein se prépara au doctorat. En juin 1877, à l’âge précoce de vingt ans, il défendit, à l’Université de Berlin, une thèse de haute philosophie sur la Perception (Ueber Wahrnehmung), à la suite de laquelle le bonnet de docteur en philosophie lui fut conféré. Cette thèse est du Dühring orthodoxe, mais d’une obscurité extravagante, et la Critique de la Raison Pure de Kant n’est qu’un délassement d’esprit auprès de cette œuvre de « positivisme critique, » ainsi que Stein l’appelle. Il n’y a rien là d’étonnant, d’ailleurs. Le réalisme ne saurait constituer un système clair et simple que pour un homme qui n’est pas philosophe, pour un cerveau fermé au grand point d’interrogation métaphysique. Vouloir faire entrer sa pensée dans le système de Dühring, c’était, pour Stein, tenter l’impossible.

Le jeune docteur n’avait plus que dix ans à vivre. Un instinct semble pousser les hommes que guette la mort à ne pas perdre une minute du temps qui leur reste ; Stein ne s’accorda pas de repos, et se mit, tout de suite, à préparer son premier ouvrage, qui parut en 1878 sous le titre un peu voyant de : Les idéals du matérialisme ; dans son Journal, il le nomme : Philosophie lyrique, et un de ses amis m’apprend que ce fut, en effet, l’éditeur qui insista sur l’opportunité d’un titre à sensation. Ce livre est d’une singularité presque déconcertante ; on y devine les derniers spasmes d’une violente révolution intérieure, le poète et le philosophe se tendant la main sans réussir à se rejoindre tout à fait. Des démonstrations du genre de celle-ci : « Que le noumène de Kant est un abus transcendant de la catégorie de la causalité, » y alternent avec d’ardens poèmes d’amour, avec des aperçus historiques et sociaux, avec des contes symboliques… et sur la première page, comme épigraphe, ces mots de Byron : o love, o glory ! Tout Stein s’y retrouve déjà en germe, ainsi que cela est toujours le cas pour les premières œuvres d’hommes remarquables. Et le pressentiment de sa destinée, hélas ! s’y trouve aussi : « Une des nornes s’est glissée dans ma chambre, » écrit-il, « et m’a dit à l’oreille : hâte-toi !… »

Ensuite vint le service militaire, précédé d’un voyage en Italie. À Rome, Stein s’était lié avec la baronne Malvida de Meysenbug, l’auteur des Mémoires d’une idéaliste. Mme de Meysenbug était une ancienne amie de R. Wagner, dont elle avait fait la connaissance à Paris, lors de l’affaire du Tannhäuser. Or Stein, très imbu, à ce moment, des doctrines de Rousseau, persuadé que l’éducation