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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/200

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M. Brousse se rattache à la théorie de Karl Marx en ceci que la vraie doctrine socialiste ne présente pour lui rien d’arbitraire, d’idéaliste, de sentimental : elle n’a d’autre objet que de constater l’évolution économique qui s’accomplit sous nos yeux, et de l’accélérer, de briser les entraves qui la ralentissent.

La production a commencé par la famille, puis elle a été limitée sous la forme des corporations. Elle s’est dégagée des liens corporatifs, pour se concentrer de plus en plus et s’absorber dans les monopoles capitalistes, comme nous le voyons surtout par l’exemple des États-Unis. Les monopoles capitalistes devront fatalement se transformer en services publics. M. Brousse énumère les services publics existant actuellement dans la société bourgeoise et ceux qui restent à établir, à mesure que les entreprises capitalistes seront arrivées à maturité, de telle sorte qu’au lieu de procurer à quelques-uns d’énormes bénéfices, elles soient exploitées pour le bien de tous. M. Brousse se bornait pour le moment à réclamer la nationalisation des chemins de fer, des mines et de l’industrie sucrière.

Ainsi nul besoin de révolution violente. Les services publics, sans cesse accrus, agiront à la façon de petites vagues, qui montent insensiblement, et finiront par submerger la société bourgeoise, sans catastrophe, presque sans secousse, par le cours naturel des choses.

La théorie de M. Brousse, à laquelle on a donné le nom de possibilisme, était vivement combattue par les sectes socialistes intransigeantes. M. Gabriel Deville l’attaquait avec âpreté : il ne s’agit pas d’améliorer, de corriger l’État tel qu’il existe, écrivait-il, mais de faire table rase. Du fond de sa cellule, à Sainte-Pélagie en 1883, M. Guesde répondait à M. Brousse. La société actuelle, disait-il, ne laisse place à aucun service véritablement public, c’est-à-dire fonctionnant au profit de tous. Il n’est public que par les frais qui portent sur tous et ne servent qu’au petit nombre. C’est ainsi que l’armée est payée par tous et ne sert qu’à la défense de la propriété. Les broussistes ne parlent d’expropriation progressive que pour ne pas brouiller leurs cartes électorales. Les industries centralisées de l’État, en atténuant les maux de la concurrence, retardent l’émancipation finale : « Révolution d’abord, services publics ensuite. »

M. Guesde et M. Lafargue estimaient, en conséquence, que l’impuissance organique et réformiste des municipalités, dans la