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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/246

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lui adressait ne lui semblaient pas fort redoutables. Pour se disculper auprès de la noble veuve de Lucain, il se contente d’aller chercher, dans l’œuvre de son mari, une épigramme licencieuse, qui lui paraît légitimer les siennes. Ailleurs il cite des vers plus que légers d’Auguste, qui sont d’un temps où ce prince n’avait pas encore entrepris de réformer les mœurs publiques et où il ne veillait pas beaucoup sur les siennes. Ces autorités lui suffisent ; non seulement il ne s’excuse pas de dire les choses crûment et par leur nom, mais il s’en fait presque gloire : c’est une qualité qu’il appelle la sincérité romaine, Romana simplicitas, de même qu’il nous arrive de justifier les propos de mauvaise compagnie qui nous échappent en les qualifiant de « gauloiseries. » Du reste, ces justifications ne lui semblent pas très nécessaires, et il sait bien que ce qui, dans ses vers, pourra choquer quelques consciences timorées est précisément ce qui plaît au plus grand nombre.

Nous pourrions donc prendre, dans la lecture de Martial, une très mauvaise opinion de lui et de son temps, si nous ne faisions un retour sur nous-mêmes, qui sera peut-être de nature à tempérer notre sévérité. Chez nous aussi, il a fleuri, et il fleurit encore une littérature malhonnête qui est fort bien accueillie d’une partie du public. Faut-il croire que tous les gens qui dévorent ces romans qu’on tire à des milliers d’exemplaires et assistent à ces pièces qui obtiennent des centaines de représentations vivent, dans leur intérieur, comme les personnages dont on leur raconte les aventures ? Ce sont très souvent de bons bourgeois, débauchés seulement d’imagination, coupables surtout de curiosités malsaines, et qui sont bien aises qu’on leur fasse un moment entrevoir ce qu’ils ne voudraient pas imiter. Quant aux auteurs, ils sont peut-être moins vicieux de nature que pressés d’attirer sur eux l’attention publique et convaincus qu’on arrive plus vite en faisant un peu de scandale. Je suppose qu’il en devait être de même dans l’antiquité, et j’en conclus qu’il est sage de ne pas tirer des vers de Martial des conséquences trop sévères pour lui-même et pour son temps.

En tout cas, et quelque jugement qu’on porte sur sa moralité et sur celle de ses contemporains, il me semble qu’on peut trouver beaucoup d’intérêt et de profit à l’étudier. Sa vie ne nous le fait pas connaître tout seul : elle éclaire celle des autres ; elle nous montre quelle était la situation des poètes de l’Empire, et, par le jour qu’elle jette sur les conditions de leur existence, elle nous