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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/261

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elles choisissaient un intendant, et, si l’on en croit cette mauvaise langue de Martial, cet intendant était quelquefois un fort joli garçon : « Dis-moi, mon cher Marianus, qui est ce petit frisé, qui ne quitte jamais ta femme, qui s’appuie sur le dossier de sa chaise, et se penche sans cesse pour lui parler à l’oreille ? Ses jambes sont épilées avec soin et des bagues légères courent à chacun de ses doigts. Tu me réponds que c’est son intendant. Pauvre sot que tu es ! bien digne de jouer au théâtre les rôles de niais, à côté de Latinus. Ce ne sont pas les affaires de ta femme qu’il fait, mais bien les tiennes. » On voit que les femmes ne se contentaient pas d’user de l’indépendance qu’elles avaient conquise ; beaucoup en abusaient. Pour se bien prouver à elles-mêmes et convaincre tout le monde qu’il n’y a pas d’inégalité entre elles et les hommes, elles prennent leurs défauts, affichent leurs ridicules, envahissent leurs occupations ; elles affectent de ne plus parler que grec, elles veulent paraître savantes et pédantes, elles étudient la philosophie, elles font des vers, et même des vers d’amour : l’une d’elles, Sulpicia, la femme de Calenus, est célèbre par des poésies terriblement passionnées ; il est vrai qu’elles sont adressées à son mari, ce qui désarme les plus sévères. Martial l’admire comme tout le monde, il la compare à Sapho et à la nymphe Egérie. Mais, en parlant ainsi, il ne dit pas tout à fait ce qu’il pense : en réalité, ces talens que les femmes cherchent à se donner l’inquiètent. Il souhaite, quant à lui, que celle qu’il épousera, si jamais il se marie, ne soit pas trop savante ; cette égalité qu’on veut établir entre l’homme et la femme ne lui dit rien de bon ; et il reprend à son compte le mot du vieux Caton : Le jour où elles seront nos égales, elles seront nos maîtres :

Inferior matrona suo sit, Prisce, marito.
Non aliter fient femina virque pares.

Si l’on voulait compléter ce tableau de la vie mondaine que Martial laisse entrevoir, il faudrait placer à côté de la femme qui se pare, qui s’attife, qui se farde, « qui craint la pluie parce qu’elle se met du blanc, et le soleil parce qu’elle se met du rouge, » son compagnon, l’homme à la mode, que le poète appelle le petit-maître ou le petit-frisé, bellus homo, crispulus. C’est un personnage assez nouveau dans la société romaine ; on ne le connaissait guère à l’époque républicaine ; aussi n’en est-il jamais