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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/269

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lutte qui se livre chez lui entre son goût de lettré et ses habitudes de rhéteur.

Nous ne trouvons rien de pareil chez Martial. Pour rester simple et naturel, il n’avait pas d’effort à faire, c’est sa nature même, et il pouvait dire avec une entière assurance que toute sorte d’enflure est absente de ses livres :


A nostris procul est omnis vesica libellis.


C’était un mérite rare à l’époque où il vivait. De tous les écrivains de l’Empire, je n’en connais guère que deux qui aient su se garder complètement de la rhétorique : Pétrone et lui.


VI

Je crains bien d’avoir donné une idée peu favorable de Martial, quand j’ai dit tout à l’heure qu’il n’avait pas d’autre métier que d’adresser aux gens riches des complimens qu’on lui payait et qu’il n’en éprouvait aucune honte. C’est malheureusement ce qui ressort de la lecture de ses épigrammes. À la manière dont il provoque les libéralités de ses protecteurs, on voit bien qu’il ne se doutait pas qu’on lui en ferait un jour un reproche. Il n’attend pas qu’on lui donne ; il ne se lasse pas de demander, il crie toujours misère : il lui faut de l’argent pour désintéresser ses créanciers, pour payer son terme, pour renouveler sa garde-robe quand elle est usée. Sans compter qu’on ne le satisfait pas aisément et qu’une libéralité qu’il reçoit semble lui donner le droit d’en solliciter une autre ! Le chambellan de l’empereur, Parthénius, lui ayant fait cadeau d’une belle toge, sa reconnaissance et son admiration ne connaissent pas de bornes : c’est une merveille à laquelle rien ne peut s’égaler ; nulle part on n’en pourrait trouver de pareille ; « elle est plus blanche que le lys et que la fleur du troène fraîchement éclose. » Mais tout d’un coup il lui vient un scrupule qu’il ne peut s’empêcher d’exprimer. N’est-il pas à craindre que la beauté de la toge ne fasse paraître son vieux manteau trop laid ? — Ce qui est une manière de demander aussi un manteau[1].

  1. Ailleurs, en remerciant son ami Stella d’avoir fait réparer le toit de sa petite villa endommagé par l’hiver, il lui dit « que, puisqu’il a couvert la maison, il devrait bien aussi couvrir le propriétaire. » On s’explique cette insistance de Martial à demander des vêtemens, quand on sait que la nécessité où il était de se mettre en grand habit tous les matins pour aller saluer le patron lui faisait user quatre toges par an. C’était une grosse dépense.