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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/277

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uniquement ; mais par momens aussi la vie mondaine l’excédait, il lui prenait des accès d’affection pour la retraite et la solitude, il souhaitait passionnément le repos des champs et le calme de la province. Sa première pensée était alors d’aller s’enfermer dans sa petite maison de Nomentum ; mais il n’y trouvait pas ce qu’il cherchait ; il n’était pas assez loin de Rome, il pouvait entendre les bruits de la grande ville, il en apercevait les toits dans le lointain ; devant lui, les grandes voies dallées et les lignes d’aqueducs, qui se dirigeaient vers elle, ne lui permettaient pas de l’oublier. D’ailleurs, était-ce bien véritablement la campagne, que ces petits jardins où l’on ne trouvait guère que quelques maigres grenadiers, des jujubiers et des allées de buis taillés en murailles ? Ils ne produisaient rien de ce qui est nécessaire à la vie, et il fallait tout y apporter. Un jour Martial rencontre, près de la porte Capène, son ami Bassus sur un chariot chargé de tous les riches produits d’une campagne féconde. On y voyait des choux magnifiques, des poireaux, des laitues pommées, des œufs soigneusement enveloppés dans du foin. « Vous pensez peut-être, dit le poète, qu’il revenait des champs à la ville. — Non ; il allait de la ville aux champs. » C’était son histoire quand il se rendait à Nomentum. Aussi préfère-t-il à cette contrefaçon de la campagne, qui n’est ni la ville, ni les champs, une ferme véritable, avec des greniers où le blé s’entasse, des caves garnies de grands vases qu’on remplira de vin à l’automne, des étables à porcs et des basses-cours bien peuplées. C’est ce qu’il appelle, d’une expression charmante, rus verum barbarumque. De ces campagnes rustiques, les seules où l’on trouve le repos et la joie, les grands seigneurs, les riches en possèdent tous quelques-unes, mais ils n’ont pas le temps de les visiter ; ils se contentent de dépenser leur argent pour les entretenir. Ceux qui en jouissent véritablement, ce ne sont pas les maîtres qui n’y vont jamais ; ce sont les fermiers qui les cultivent et les concierges qui en gardent la porte : « Heureux fermiers, dit Martial ; heureux concierges ! »

Voilà un Martial dont on ne se doute guère, quand on a lu la plus grande partie de ses épi grammes. Ce qui ressemble encore moins à l’idée qu’on se fait de lui, ce sont certains retours de fierté, qui, pour être rares dans son œuvre, n’en méritent que plus d’être signalés. Quelque décidé qu’il soit à célébrer tous ceux qui peuvent lui être utiles, il y a des momens où la vérité lui