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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/343

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cette gloire était la menace, la guerre sans fin, l’abaissement de tous au profit d’un seul ; de rappeler qu’eux au contraire, eux seuls, n’ayant pas besoin de titres ni de mérites nouveaux, étaient le repos et la paix ; de se glisser peu à peu dans la pensée de cette Europe comme les remplaçans possibles, désirables, de Bonaparte ; de redevenir une pièce sur l’échiquier. Il employait ses loisirs à se tenir informé des affaires générales, et mettait à profit les amitiés qu’il laissait partout où il passait, pour entretenir des correspondances avec les étrangers les plus capables de l’instruire. Et le plus important d’entre eux était son ancien général, Armfeld, qui, originaire de la Finlande, avait suivi le sort de la province et, devenu Russe, jouissait d’un crédit considérable auprès d’Alexandre Ier.

Jusqu’à la fin de 1812, La Ferronnays garda pour lui seul ses réflexions. Mais la campagne de Russie a donné enfin au vainqueur des hommes un vainqueur, la nature. La Ferronnays rédigea alors un mémoire où il indiquait l’opportunité pour les Bourbons de devancer les événemens qui préparaient des destinées nouvelles à la France. Il montrait la nécessité de connaître avec certitude les dispositions des divers cabinets afin de régler la conduite à tenir avec chacun, et il s’offrait à se rendre en Russie, où, grâce à l’amitié d’Armfeld, il espérait obtenir des renseignemens sûrs. Le mémoire, lu par Louis XVIII, n’avait encore valu à son auteur que certaines préférences d’attention et de paroles de la part du Roi, quand arriva de Saint-Pétersbourg un émigré de marque. Il affirmait qu’Alexandre était résolu à rétablir les Bourbons. Louis XVIII voulut aussitôt tirer avantage de ces dispositions, qu’il tint pour certaines. Il décida d’envoyer à Alexandre un chargé d’affaires, avec les missions suivantes : communiquer au Tsar une proclamation de Louis XVIII ; demander pour Monsieur ou l’un de ses fils un commandement dans l’armée russe ; pressentir les dispositions de la famille impériale à un mariage entre le Duc de Berry et la grande-duchesse Anne, sœur de l’Empereur ; enfin recruter parmi les prisonniers français des partisans à la légitimité. La Ferronnays fut choisi. Le voyage d’enquête discrète qu’il avait proposé était devenu, dans la pensée de Louis XVIII, qui aimait à solenniser ses actes pour mieux marquer son rang, une mission diplomatique. La Ferronnays reçut même ordre de passer par Stockholm et de voir le prince royal Bernadotte, que les nouvelles parvenues