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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/368

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dans le Mékong, si je ne l’avais repris vigoureusement par le bras. Les piroguiers m’expliquent que l’eau est en cet endroit très profonde. Je demande à l’indolent petit Malabar s’il sait nager : « Non, — me répond-il avec cette impassibilité orientale qui, pour nous, touche à l’engourdissement. — Madame pas tenu, moi noyé ! » Et il n’y pensait déjà plus.

J’avoue que c’est avec un bonheur extrême que j’ai salué la grande paroi blanche et perpendiculaire du rocher de Nam-Hou, en face de la rivière du même nom, à quelques heures de Luang-Prabang. A belle hauteur, sous des rochers déchirés qui semblent lui faire un baldaquin, s’enfonce une grotte bouddhique très vénérée. Un escalier escarpé, coupé de pentes périlleuses, mène au célèbre sanctuaire de Pak-Hou[1], décrit jadis par Francis Garnier. Il est composé d’une seule salle, peu profonde, encombrée de bouddhas, et précédée d’une sorte de balustrade creusée dans la pierre. La différence normale des crues est de 10 à 12 mètres, et, dans la saison des hautes eaux, le Mékong vient baigner l’escalier de la pagode. Le même jour, par un beau clair de lune, j’abordais joyeusement Luang-Prabang, à quelque six mètres au-dessous des grands escaliers de pierre qui forment, lors de la crue, un débarcadère de haute mine.


II. — LUANG-PRABANG, LES LAOTIENS ET L’ADMINISTRATION FRANÇAISE

C’est vraiment une gracieuse et aimable petite ville, à la fois capitale du royaume de Luang-Prabang, et centre administratif du haut Laos. La ville royale du Prabang, — ainsi nommée d’un bouddha fameux, — est enlourée d’eau de trois côtés par le Mékong et le Nam-Kane. Cette dernière rivière la divise en deux parties très inégales, et décrit un curieux détour avant de se jeter dans le grand fleuve. Luang-Prabang est bâti sur un plan régulier et prend l’aspect d’une cité importante lorsqu’on le contemple du Tiomsi, monticule rocheux et verdoyant, dressé presque à pic au-dessus de la ville. Un escalier droit et vertigineux monte d’un seul jet au sommet du Tiomsi, que couronne un Tut en ruine. Quelques bonzes gardent la vieille pagode appelée Ouate-Pouhsi[2] qui domine un merveilleux panorama. Deux grandes rues parallèles au fleuve, coupées à angle droit

  1. Pak veut dire embouchure.
  2. Ouate, Wat, en laotien, en siamois et en birman, signifie pagode.