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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/387

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voulait épouser. Le roi, en père cruel, s’opposait à ce mariage, et ne voulait l’autoriser qu’à une seule condition : le prince prendrait un grand plateau chargé de riz et le jetterait dans le Mékong ; la jeune fille ne serait à lui que s’il pouvait retrouver et rapporter tous les grains de riz. L’amoureux confia donc sa peine aux poissons ; il fut si éloquent, et les poissons du Mékong si sensibles, qu’ils s’engagèrent à lui rapporter tous les grains de riz. Mais quand on vint à faire le compte, il manquait un grain de riz, un seul grain. Un poisson, infidèle à la promesse commune, l’avait mangé. Le coupable fut vite découvert, et le prince furieux lui cassa le nez. Depuis ce temps, tous les poissons de son espèce ont gardé la marque infamante.

Si nous ne sommes plus au pays des Natt, les mauvais esprits birmans, les pîs du Laos ne sont pas moins extraordinaires ; on a pour eux une grande vénération, et la sorcellerie est fort en honneur.

On raconte sérieusement que dans les Hua-Panh, les Thaïs-Neua peuvent faire tenir des bambous suspendus dans l’air ; et que des hommes se pendent vainement à ces bambous sans pouvoir leur faire toucher terre. Certains sorciers peuvent mettre des buffles dans le ventre des hommes et des femmes, ce qui doit être bien gênant. Ils commencent par y mettre un morceau de cuir et d’étoupe, qui se gonfle et devient buffle. Et c’est si vrai qu’un homme a été jugé, à Luang-Prabang, il y a trois ans, sous l’inculpation d’avoir fait mourir de cette manière douze ou quinze personnes ; or le morceau de cuir avait été retrouvé dans l’abdomen. Les gens étaient malheureusement morts avant l’éclosion des buffles ; autrement le cas eût été bien intéressant pour la science. Le Khas, d’ailleurs, a avoué son crime ; il opérait, a-t-il dit, tout simplement en regardant ses victimes. Ajoutons, ce qui nous donnerait, à nous autres sceptiques, l’explication du mystère, que ces indigènes se nourrissent volontiers de la peau des animaux et de celle du buffle en particulier.

Un bonze de Luang-Prabang vient de manquer, au préjudice de sa renommée, une de ses plus intéressantes sorcelleries.

Il faut savoir d’abord que la milice laotienne est formée d’Annamites, de Laotiens et de Khars-Or, et que deux Laotiens avaient imaginé, avant d’être enrégimentés, de se rendre invulnérables. Le sorcier bonze leur avait donné toutes les formules. Ils avaient exécuté prescriptions et prières, et se croyaient assurés