Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne l’essor à ton génie, à la raison. » Ne vaut-il point la peine d’immoler un patriotisme étroit pour banqueter avec le genre humain ?

Préparez donc, ô femmes, la musique de vos chants, et vous, poètes, celle de vos lyres ! M. Eugène Pelletan, à la loge du Globe, conjurait les femmes de prendre en main la grande cause de la paix ; à l’Aménité, du Havre, on les sommait d’élever leurs enfants pour cet avenir pacifique « vers lequel la maçonnerie avait juré de précipiter les pas de l’humanité tout entière. »


De ses deux bras elle embrasse la terre,
C’est aujourd’hui la Grande Majesté,


versifiait Dechevaux-Dumesnil ; et M. Henri Brisson était en loge, scandant de son glaive l’essoufflement des décasyllabes, lorsqu’un autre poète chantait :


Tous les maçons ont la même patrie.


Mais le glaive lui-même, fût-il porté par des mains aussi sûres, devenait suspect. Crémieux, chef de la maçonnerie écossaise, futur membre de la Délégation de Tours, se fit annoncer un jour, à l’improviste, dans une fête du Grand-Orient : les Frères, troublés, n’eurent point le temps de courir aux armes. Alors, faute de glaives, et d’un unanime mouvement, c’est avec leurs bras enlacés qu’ils simulèrent une voûte, — la voûte d’acier, en style maçonnique, — par-dessus la tête de l’illustre visiteur ; et Crémieux, tout ému, leur donna une leçon de choses : « Une voûte humaine, oui, disait-il avec onction : rien que des mains fraternelles, pas de glaives, pas d’images de la guerre ! » Ces paroles tombaient de haut : c’était l’époque où Crémieux initiait aux rites sacrés Emmanuel Arago, Jules Simon, et M. Laferrière, le futur gouverneur de l’Algérie. C’est ainsi qu’une négligence d’accoutrement, une lacune d’arsenal, servait à Crémieux d’occasion pour prodiguer aux Frères ses pacifiques homélies. Un autre jour, il se mit à raconter la bataille de Fontenoy, et donnant une morale à son récit, il exprima le vœu qu’un jour vînt où des armées en présence renonceraient à s’entre-tuer. On vit même, en ce temps-là, le premier exemple d’une de ces laïcisations que l’histoire ultérieure devait rendre si fréquentes ; mais par une exception qui n’eut jamais de suites, c’est un Dieu païen qui en fut victime ; la loge Mars et les Arts fut débaptisée ; aucune sécularisation