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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/477

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André en a changé un certain nombre. Or, d’après le décret de 1890, — et sous l’autorité du ministre, nous le voulons bien, — le chef de l’État-major a le choix de ses collaborateurs. Il semble bien que cette liberté de choix n’ait pas été respectée chez le général Delanne. Il y avait là une affaire à traiter entre le ministre et lui ; le ministre a jugé plus expéditif de la trancher souverainement. S’il a interrogé le général Delanne, — ce que nous ignorons, le fait n’ayant pas été éclairci, — il n’a tenu aucun compte de ses observations, encore moins de ses désirs, et, dans une série de nominations qui aurait dû être le résultat d’un consentement mutuel, une seule volonté a agi et s’est imposée. C’est là ce qui est inadmissible. Qu’arrivera-t-il, en effet, si chacun des ministres qui pourront se succéder rue Saint-Dominique y apporte, avec des vues différentes, les mêmes allures dictatoriales que le général André ? L’institution de l’État-major général participera de l’instabilité ministérielle elle -même. Et qui n’en aperçoit les conséquences ? Bien que l’extrême mobilité de nos ministres ne soit pas sans inconvéniens, on peut y remédier dans une certaine mesure par la stabilité plus grande donnée au chef de l’État-major général : mais si l’un et l’autre sont soumis aux mêmes vicissitudes, et deviennent le jouet, tantôt docile et tantôt brisé, de ces majorités parlementaires qui obéissent à tant d’influences successives et diverses, les intérêts majeurs de la défense nationale en seront compromis irrémédiablement. Le ministre de la Guerre, après tout, ne devrait être que l’administrateur de l’armée, et il doit l’administrer conformément aux vues générales du gouvernement et du parlement ; mais le chef de l’État-major général, chargé de la préparation de la guerre, par une comparaison incessante de notre armée avec les armées étrangères et par une mise à point de tous les jours, le chef de l’État-major a une autre tâche, qui exige une application encore plus soutenue. Dans les pays purement monarchiques, où l’armée est commandée par le roi ou par l’empereur, le principe de la stabilité trouve là un appui qui nous manque. Cela ne veut pas dire que la République ne puisse pas créer à son usage l’organe dont elle a besoin, et tel est précisément l’objet de l’organisation que nous venons de décrire. Mais, si on détruit cette organisation elle-même, que restera-t-il, et comment retrouvera-t-on un point fixe après l’avoir supprimé ? C’est surtout sous la République qu’il importe d’avoir un État-major général à l’abri des fluctuations de la politique. Cela ne nous donnera pas un Moltke ; mais, si le ciel nous en donnait un, cela nous permettrait de le conserver et d’en profiter.