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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/591

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Si nous faisions comme cette foule, peut-être apprendrions-nous quelque chose.

L’horloge est de tous les engins de la science le plus ancien et le seul qui ait traversé, sans changer de forme essentielle, les plus belles époques de l’Art. On peut donc étudier sur elle, sans qu’aucun élément étranger n’intervienne, la pure fantaisie ou, si l’on veut, les pures nécessités de l’Art décoratif. Son moteur, qui est le poids, est connu depuis mille ans. Le progrès qui tend toujours à diminuer le signe extérieur de nos engins ne pourrait diminuer celui-ci sans nuire à sa fonction même. On a rendu invisible la source de la chaleur dans nos maisons, invisible la source de la lumière, mais on ne peut rendre invisible. la manifestation de l’heure sans la supprimer. Quand on inventa le ressort spiral, on put réduire le corps de cet engin, mais on est toujours obligé de donner la même ampleur à sa figure : le cadran. Ainsi l’horloge n’a pas diminué de volume nécessaire. Elle n’a pas non plus changé de forme nécessaire. Il y a une forme géométriquement nécessaire pour elle, tandis qu’il n’y en a ni pour la cheminée, ni pour la théière, ni pour le flambeau. On peut faire triangulaire une cheminée, non un cadran. On peut faire piriforme une lampe, non une horloge. Il y a dans cet objet une forme qui ne peut être éludée. Et, à part ce programme qui est inamovible, l’artiste peut tout. C’est donc bien sur le même thème exactement que les artistes ont travaillé, comme s’ils étaient réunis dans la même salle et dans le même concours, depuis le XIVe siècle jusqu’à nos jours.

En même temps, l’horloge est de tous les thèmes de l’Art décoratif celui dont l’ornementation nous touche le plus, étant celui qu’on regarde le plus souvent. Beaucoup de gens ont oublié le dessin des meubles et la couleur des tapisseries, qui n’ont pas oublié l’horloge de leur enfance. Autant que le flambeau, plus qu’une aiguière ou qu’une potiche, la forme de la pendule s’insinue en nous, et les heures tristes ou joyeuses que nous y avons lues ont pris à notre insu pour nous la forme des figures qui s’y sont dressées. La grâce d’un beau décor se fait donc sentir ici plus qu’ailleurs, et plus qu’ailleurs est lamentable la déchéance du goût. Aussi bien est-ce là que les fantaisies les plus fines ont triomphé et que les plus insolentes se sont donné carrière. On croit généralement que le mauvais goût déployé dans les sujets de pendules est infiniment multiforme et insondable. C’est une