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avait redouté de perdre et attribuait à l’autre assez d’avantages pour qu’il se pût consoler de sa déception. Puis le concert européen se manifestait désormais avec une énergie absolue, sans hésitations ni faux-fuyans, et dans ces conditions-là, qui sont si rares, il triomphe toujours.

Les ambassadeurs, bien instruits par leurs gouvernemens, certains d’accomplir une œuvre viable, conduisirent dès lors les choses avec rapidité. Le programme était fixé : ils l’exécutèrent en peu de jours, laissant de côté leurs préférences respectives et les objections secondaires : ils adjugèrent à la Grèce Larisse et Volo ; ils établirent à l’ouest la frontière au thalweg de l’Arta, ce qui réservait l’Epire à la Turquie. Ils décidèrent le démantèlement des deux places de Prévéza, qui restait turque, et de Punta, qui devenait grecque. Il ne fut pas question de la Crète. Le Sultan gardait ainsi Janina et Metzovo ; le Roi Georges obtenait toute la Thessalie et même un fragment d’Épire, le district d’Arta. La question se trouva de la sorte définitivement réglée. Je ne sais si la Porte avait prévu ce résultat de la procédure qu’elle avait réclamée elle-même, mais enfin elle se sentait maintenant circonvenue par les Puissances ; elle avait pris part aux négociations conduites à Constantinople sur son désir, ce qui sauvegardait sa dignité et l’engageait en même temps : elle eut le bon esprit de comprendre que toute résistance serait inutile, et elle s’inclina en silence. De ce côté-là, et quels que fussent les ressentimens et les arrière-pensées, il n’y avait donc rien à craindre.

Mais il n’en fut pas de même à Athènes. Le gouvernement n’avait pas été consulté : M. Coumoundouros demandait à être entendu ; l’opposition s’exagérait singulièrement les sympathies britanniques. M. Tricoupis affirmait à la tribune qu’en cas de guerre, l’Angleterre viendrait à la rescousse. Nous avions à prévenir sur-le-champ des manifestations aventureuses. Les Puissances ne perdirent pas un instant pour démontrer leur volonté immuable ; lord Granville démentit les assertions étranges de M. Tricoupis, et nous reçûmes, mes collègues et moi, l’ordre de signifier au Cabinet grec, sans aucun retard, que la solution actuelle était « substituée à celle de Berlin » par un arrêt sans appel ; que l’adhésion immédiate de la Grèce était nécessaire ; enfin, que la bonne volonté des Cours à son égard, et les annexions mêmes, étaient à ce prix. Une note collective, rédigée par les ambassadeurs à Constantinople et que nous fûmes invités à remettre