Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/780

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avaient été la grande ressource, la seule dans beaucoup de cas, des âmes chez lesquelles rien n’avait pu tuer le sentiment religieux. Elles aspiraient au couvent comme au seul asile que leur offrit un âge sans foi, dans lequel l’état de dégradation du clergé, qu’un Bérulle ou un Vincent de Paul ne pouvaient contempler sans une amère douleur, avait abouti à l’anéantissement du christianisme dans une partie des campagnes et à la multiplication des libertins dans les classes supérieures. Sauf de saintes, mais rares exceptions, l’Église de France donnait à tous ses degrés l’exemple du mépris des choses de l’Église. Nous avons déjà parlé[1] de ces élégans cavaliers, prélats à leurs momens perdus, pour qui un évêché était une sinécure comme une autre, n’entraînant aucun devoir à sa suite, et qui menaient loin de leurs troupeaux des vies de luxe et de plaisir. L’épiscopat en était infesté et déshonoré. — « Passant brusquement, dit un écrivain ecclésiastique[2], des plaisirs de la cour aux austères devoirs du sacerdoce, sans autre préparation qu’une ordonnance royale due peut-être à d’inavouables sollicitations, souvent nommés évêques avant même que d’avoir reçu les saints ordres, ces prélats de rencontre apportaient à l’Église les âmes les moins ecclésiastiques du monde. » On vit des évêques et des cardinaux distribuer les bénéfices de leur diocèse à la basse domesticité de leur maison, à leurs valets de chambre, leurs cuisiniers, leurs barbiers, leurs laquais[3].

Le bas clergé, abandonné à lui-même, s’était abîmé dans l’ignorance et le désordre. La façon dont il se recrutait aggravait le mal d’année en année. Le droit de présentation aux cures appartenait généralement aux abbayes et se transmettait d’un titulaire à l’autre. Or, ce titulaire était presque toujours incapable de faire un bon choix, ou seulement un choix décent ; la cour donnait les abbayes à des enfans au berceau, bâtards de princes ou cadets de grands seigneurs, à des soldats, des courtisans, des protégés laïques de toute origine et de toute profession. Henri IV en donna à des protestans et à des femmes ; Sully en avait quatre, la belle Corisande possédait Châtillon-sur-Seine où avait été élevé saint Bernard. Ces « abbés » de fantaisie se mettaient peu en peine de chercher de bons curés. D’ailleurs, où les auraient-ils pris ? L’Eglise de France manquait de pépinières de prêtres ;

  1. Voyez la Revue du 15 février, p. 830 et suite.
  2. M. l’abbé M. Houssaye, le Père de Bérulle et l’Oratoire de Jésus.
  3. Saint François de Sales, par Fortunat Strowski.