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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/810

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— Soit !... Un client comme vous, qui fait le double du maximum, on n’a rien à lui refuser.

Le Città di Messina commençait à larguer ses amarres ; son remorqueur sifflait ; le pilote Fred Simons venait de revêtir son suroît et se préparait à descendre dans le petit canot pour gagner le bord du voilier, quand Gottiieb, s’approchant du pilote : « Tenez, Fred, mon ami, voulez-vous me rendre un service ? Voici une lettre pour le capitaine. Comme elle lui sera plutôt désagréable, et que c’est un homme assez singulier, ayez bien soin de ne la lui remettre qu’au moment où, votre pilotage terminé, vous quitterez son navire pour rentrer au port. Vous entendez ?

— Parfaitement, monsieur Gottiieb, à vos ordres.

— Combien de milles restez-vous à bord du trois-mâts ?

— Cinq à six, pas plus.

— Bon ! Alors, au moment de repartir, vous ordonnerez à un matelot de porter la lettre, en disant que vous n’aviez pas pensé à la remettre plus tôt... Il l’aura toujours avant la nuit, n’est-ce pas ? C’est ce qu’il faut ; bien merci... Et pour votre peine, pilote, en rentrant chez Mistress Simons, une belle oie farcie vous attendra : un cadeau de Roslyn !

Le pilote écarquillait ses yeux. — Ma foi, fit-il gaiement, ce sera un rôti vite gagné. J’aurais, je vous le promets, fait la commission pour rien. — A demain, Fred ! — A demain, monsieur Gottiieb.

…………………

Le pilote est rentré la nuit dernière. Il vient remercier le marchand d’hommes de son oie grasse. La bête paraît superbe ; Mistress Simons s’occupe de la mettre à la broche. Servie sur une marmelade de pommes au jus de citron, elle promet, dit-il, un repas succulent. Roslyn l’interrompt : « Et le capitaine Molfredo quelle tête a-t-il faite en lisant la lettre de l’assureur ? — Je n’en sais trop rien, car je la lui ai fait porter par un matelot, et, tandis que l’homme montait sur la dunette, je dégringolais l’échelle de corde. De mon bateau, à quelques encablures, j’ai bien aperçu ensuite le capitaine, mais le jour était à peu près tombé... Je ne pense pas qu’il ait lu tout de suite, parce qu’il manœuvrait pour venir près du vent... Seulement, une douzaine de minutes plus tard, tandis que mes deux hommes dirigeaient le cotre, j’ai pris ma longue-vue et j’ai miré vers le trois-mâts.