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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/905

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si elle la sentait dans toute son étendue. On la cajole beaucoup. Je la prémunis contre les pièges. Elle promet d’être ferme et de ne pas se laisser empaumer, mais je redoute sa malheureuse facilité et cette habitude de passivité que son éducation lui a fait contracter... Peut-être me laissé-je égarer par une chimère en croyant qu’on serait bien aise de la retenir toute sa vie en Autriche, de s’emparer, en son nom, d’un pays qui lui donnerait une ombre de souveraineté : alors, plus aucun moyen de se rapprocher de l’Empereur et d’en recevoir des conseils, ce que l’on redoute par-dessus tout. »

L’année que Meneval passa en Autriche fut la plus pénible de sa vie. Il était comme en exil, au milieu des ennemis de son maître et de son pays, en butte au soupçon et à l’espionnage. Il voyait se développer l’odieuse intrigue où devait si doucement succomber la faible Marie-Louise. Pour Metternich, toute arme était bonne contre une femme, fût-elle la propre fille de son souverain. Il imagina de l’asservir à sa politique par la galanterie. Quand, au mois de juin 1814, Marie-Louise partit pour les eaux d’Aix, on se défiait encore, et non sans raison, de ses sentimens à l’égard de Napoléon. Il fut donc décidé qu’elle laisserait son fils à Schönbrunn et qu’elle aurait auprès d’elle un chambellan autrichien pour lui servir de conseil. L’empereur d’Autriche, qui ne pensait pas à mal, avait désigné le vieux prince Esterhazy ; mais Metternich, mieux avisé, choisit le général comte Neipperg. Il lui donna comme instruction secrète de faire oublier Napoléon à Marie-Louise, « en poussant les choses jusqu’où elles pourraient aller. »


Et que m’ordonnez-vous, seigneur, présentement ?
— De plaire à cette femme et d’être son amant.


Dans les nombreuses lettres qu’il écrivit de Schönbrunn à sa femme, Meneval note discrètement, mais très clairement pour qui sait lire entre les lignes, les progrès de cette intrigue politico-galante : « 10 novembre 1814. Je t’ai touché un mot du changement qui s’est opéré en mon absence[1] dans la tête et dans le cœur de l’Impératrice. Cela n’a point dégénéré depuis que je suis ici, bien au contraire, mais on lui tolère tout, pourvu qu’elle oublie son mari et même son fils. » — « 15 novembre. Le général Neipperg est chambellan, grand écuyer, ministre de

  1. Meneval avait été passer deux mois à Paris pendant que Marie-Louise était aux eaux d’Aix en Savoie.