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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/929

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Ce recueil de crimes passionnels, M. Proal ne s’est pas borné à le bourrer de faits, pour le seul plaisir d’étaler sous nos yeux les tableaux d’une sorte de musée des horreurs ; mais, à l’aide des observations qu’il a pu faire à l’audience ou dans son cabinet de juge d’instruction et de procureur de la République, il s’est proposé d’étudier la psychologie de l’amoureux criminel, de la femme délaissée, de l’assassin par jalousie, du meurtrier par honneur, du suicidé par amour contrarié. Magistrat lettré, il a voulu rapprocher des types créés par la littérature les cas fournis par la réalité. « La peinture de l’amour, de ses égaremens et de ses crimes est le principal objet du théâtre. Il y a peu de tragédies sans meurtre et sans suicide d’amour. Dans Andromaque, par exemple, il y a un meurtre, celui de Pyrrhus, et deux suicides, ceux d’Oreste et d’Hermione. Dans Bajazet, il y a trois meurtres, ceux de Bajazet, de Roxane, et d’Orcan, et un suicide, celui d’Atalide. C’est une tuerie. La plupart des héros de théâtre sont des héros de cour d’assises. La Littérature copie le crime passionnel, comme le crime passionnel copie la littérature. Pour savoir si la peinture littéraire du crime d’amour est fidèle, il n’est donc pas inutile de rapprocher les assassins amoureux du théâtre des assassins amoureux que juge la cour d’assises... Après tous les commentaires qui ont été donnés sur le théâtre de Corneille et de Racine, j’ose espérer que ce commentaire par la cour d’assises ne manquera pas d’intérêt. » Ce que peut avoir de déplaisant et de pénible ce « commentaire par la cour d’assises, » on le devine aisément. Je me hâte de remarquer qu’il fait tort à la plupart des œuvres auxquelles on l’applique, et que le principe même n’en saurait être accepté. L’atmosphère morale de nos tragédies, celle du théâtre antique ou celle des drames de Shakspeare, n’est pas l’atmosphère des tribunaux. Entre Hermione et l’ouvrière vitrioleuse, entre Othello et le garçon qui plante son tranchet dans le des de sa maîtresse, il y a des différences essentielles et dont on ne tient pas compte dans ce système d’assimilations. Recherchant les causes des crimes passionnels, M. Proal indique surtout l’imitation des types littéraires : c’est même la seule sur laquelle il insiste. Si une moitié de son livre est réservée à énumérer et décrire les crimes passionnels, l’autre moitié est consacrée à en étudier la contagion par le roman et par le théâtre. Peu à peu cette impression ressort que, si le cœur humain n’avait pas été perverti par la littérature, jamais le crime n’eût souillé la face du monde. On s’attend que l’auteur va requérir contre les écrivains de théâtre et les conteurs et les citer à la barre comme accusés de complicité de meurtre. Autant vaudrait contester