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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/251

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LE FANTÔME.

— Tout mentait donc, excepté ça…

À ce moment, ses yeux rencontrèrent, parmi tant de merveilles éparses sur les chevalets et sous les vitrines, le mince panneau dont Malclerc avait parlé dans sa confession, cette sainte Claire, vêtue en franciscaine, pieds nus et tenant son cœur dans sa main. La phrase d’Antoinette au jeune homme : « C’est ainsi que je voudrais avoir mon portrait fait pour toi… » revint tout à coup à l’esprit du vieillard, et cette autre, écrite par Malclerc lui-même : « C’était vraiment le cœur de ma pauvre maîtresse qui brûlait dans la main de la sainte… » L’idée que cette peinture leur avait servi à tous deux de gage d’amour, qu’ils l’avaient tous deux regardée avec les mêmes émotions, la lui rendit soudain physiquement intolérable. Il marcha sur elle comme il eût marché sur son rival, et, d’une main tremblante de colère, il l’arracha plutôt qu’il ne la décrocha de la muraille. Puis, avisant un coffre tout auprès, il en souleva le couvercle, et il y jeta le précieux panneau, d’un geste qui l’aurait fait passer pour fou aux yeux des collectionneurs du monde entier, s’ils l’avaient vu saisir avec cette brutalité d’iconoclaste ce délicat chef-d’œuvre, exécuté sur une pâte tout écaillée, toute friable, et dont les couleurs fragiles s’effritaient déjà !…


Cet homme si réservé d’habitude, si digne, et dont toute l’existence s’était écoulée parmi les gestes surveillés des amateurs d’art, fut ramené à lui-même par la puérilité impulsive de cette déraisonnable action. Il passa les mains sur ses yeux, et il secoua, plusieurs fois, sa vieille tête blanchie comme pour dire non et encore non à cette colère qui venait de le dégrader ainsi à ses propres yeux. Il retourna vers la table où il avait jeté les feuillets du journal de Malclerc. Il les ramassa. Puis, accoudé, le front dans sa main, il recommença de les lire, et il tomba dans une rêverie qui n’avait plus rien de commun avec son emportement de tout à l’heure. C’est qu’à travers ces pages, maintenant, la grâce d’Antoinette lui redevenait si présente, si vivante, qu’il en subissait de nouveau l’ensorcellement. Elle était là, qui lui souriait de son sourire si à elle, ce sourire d’enfant, et toujours teinté d’un peu de mélancolie, avec cette fossette, à gauche, un peu au-dessus du coin frémissant de sa bouche. Comme Malclerc avait senti la grâce amère de ce sourire ! Comme le vieillard retrouvait le souvenir qu’il gardait des prunelles de la