Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/569

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.



de
NIETZSCHE



Celui qui espérait être le plus irréligieux des hommes, celui qui allait disant : « J’ai tué Dieu, » n’a-t-il point été lui-même le grand prêtre d’une religion et l’adorateur d’une divinité nouvelle ? Sa philosophie est poésie et mythologie ; par là elle ressemble à tous les mythes que l’humanité a vus naître. Sa philosophie est foi sans preuves, chaîne sans fin d’aphorismes, d’oracles, de prophéties, et par là encore elle est une religion. L’antéchrist du siècle expirant s’est cru un nouveau Christ, supérieur à l’autre, et c’est en exprimant cette foi en lui-même qu’il s’est englouti dans la grande ombre intellectuelle.

Après avoir recherché les causes du succès de Nietzsche, nous nous demanderons quelle est la valeur des principaux dogmes de sa religion : adoration de la puissance, attente de la venue du surhomme, retour éternel des mêmes destinées, culte apollinien et dionysien de la Nature.


I


Le succès de Nietzsche, qui a été pour maint philosophe un vrai scandale, a des causes dont les unes sont superficielles, les autres profondes. Les aphorismes conviennent à un public qui n’a ni le temps ni les moyens de rien approfondir et qui s’en fie volontiers aux feuilles sibyllines, surtout si elles sont poétiques au point de paraître inspirées. L’absence même de raisonnement et de preuve régulière prête au dogmatisme un air d’autorité qui impose à la foule des demi-instruits, littérateurs, poètes, musi-