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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/865

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XV
« Ah ! sire ! ah ! sire, fuyons. L’ire de Dieu et sur cette ville d’Is… »
Gwennolé à Graillon.
(ALBERT LE GRAND.)

Le festin se prolongeait fort avant dans la nuit. Ahès, vêtue d’une robe blanche rehaussée de pourpre, trônait auprès de son père, attirant tous les regards par son étrange beauté. La fièvre donnait à son visage un éclat extraordinaire. Ses mains tremblaient. Elle ne mangeait pas ; elle ne buvait pas, comme s’il lui suffisait d’être là et de fleurir dans sa splendeur souveraine…

La gaieté devenait grossière. Tous les chefs et les rois des environs, — rois arrogans de pauvres bourgades, — buvaient et riaient. Ahès faisait renouveler sans cesse les ‘massives cruches de grès. Elle excitait les convives, provoquant leurs histoires de chasse ou de guerre. Gradlon tombait dans une somnolence douce. A demi assoupi, il faisait un songe joyeux. Chaque année, à pareil jour, il demandait à Ahès : « Que veux-tu ? » — A la question ordinaire qu’il faisait d’une voix hésitante, tant il craignait d’être repoussé, Ahès avait souri. Elle avait tendu la main vers le collier d’or ciselé que Gradlon avait enlevé aux Namnètes. Elle désirait donc encore quelque chose ! Tout n’était pas fini pour elle ! Radieux, le roi passait au cou de la jeune fille le collier splendide… Ah ! il y avait la clef de cette porte de la digue, qui y tenait… Il essayait, d’une main mal assurée, de détacher cette clef sans y parvenir. Qu’importait au fond ? Elle la dissimulait dans les plis de sa robe. Vraiment le roi ne rêvait pas. Les rangs d’or mat rehaussaient la pâleur tragique de la jeune fille, semblaient mettre des lueurs fauves dans ses yeux. Gradlon s’assoupissait de nouveau dans un sentiment de bien-être inconnu… Elle avait souri…

L’Océan battait les falaises avec fureur. Gwenc’hlan, seul, semblait prendre garde à sa colère. Il se levait parfois pour écouter, inquiet, frémissant.

— A quoi penses-tu donc ? disait Ahès, et pourquoi ne chantes-tu pas ce soir ?

— Si je chantais, il me semble que mes larmes étoufferaient mes chants, répondit le barde.