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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/427

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qui viennent demander sous les fenêtres des riches le salaire qu’ils ont gagné et qu’on ne leur donne pas ? Est-il avec les bourgeois qui tremblent en entendant ces clameurs, et écoutent anxieusement si les pas des carabiniers se rapprochent, pour les soustraire au danger ? Dans la société qu’il nous présente, on voit passer des prêtres en surplis ou en soutane. Il en est qui soutiennent les âmes faibles, réconfortent les mourans, donnent l’exemple d’une vie sans reproche ; il en est de gros et de gras, prêts à toutes les platitudes, pourvu qu’on leur réserve une place dans la salle à manger du château : ils font, suivant sa propre expression, de l’autel une table, et de la table un autel ; il en est de cupides, qui considèrent leur sacerdoce comme un métier. Mais n’y a-t-il pas, derrière ces prêtres qu’il ne nous montre jamais qu’à titre d’individus, le grand corps auquel ils appartiennent ? Le clergé n’a-t-il pas une mentalité générale ; n’exerce-t-il pas une action commune ? Comment Rovetta juge-t-il son œuvre ? La tient-il pour salutaire, ou nuisible ? S’il était en son pouvoir d’anéantir la religion, ou de la fortifier, à quoi se résoudrait-il ?

Il ne suffit pas de dire que la vie est triste, ce que chacun voit assez aisément pour son compte. Encore serait-il bon de savoir si elle ne l’est pas par nos fautes ; et surtout, s’il ne serait pas possible de l’améliorer. Un jugement prononcé par le romancier, un exemple, un conseil, influeraient sur des milliers d’esprits, et se répercuteraient presque à l’infini. Or il s’abstient ; il n’engage ni à lutter contre une existence qu’on peut rendre moins mauvaise, ni à céder tout de suite au malheur ; il ne dévoile ni ce qu’il pense, ni ce qu’il aime, ni ce qu’il espère. Seule une forme parfaite, qui laisserait les yeux si complètement satisfaits, qu’on tiendrait l’écrivain quitte de tout le reste, pourrait suppléer à cette indifférence de l’âme. On serait bercé par la cadence d’une phrase toujours harmonieuse, et séduit par la variété des mots nuancés ou éclatans. On se contenterait d’écouter et de regarder ; on ne penserait plus ; et si par hasard on pensait encore, on estimerait que la vie, si elle ne vaut pas la peine d’être vécue, vaut à tout le moins la peine d’être contemplée. On serait tout à la musique et à la peinture, comme devant une poésie de Gautier ou un chapitre de Flaubert ; on ne s’inquiéterait plus que de l’expression exquise et rare ; peut-être même, peu à peu, idées et sentimens finiraient-ils par sembler