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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/430

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quelque force et quelque vigueur. Mais tout vaut mieux sans doute, même la sensualité païenne érigée en théorie, même le naturalisme étalé par système, que la vulgarité. Or il arrive que Rovetta insiste avec complaisance sur des détails que le bon goût réprouve. Ne parlons pas de morale : même au point de vue strict de l’art, il y a des insistances fâcheuses, des descriptions pénibles, et des effets grossiers. Le même mot qui ferait rire, si on le rencontrait chez Rabelais, le même sous-entendu qu’on tolérerait chez Voltaire, sont déplacés chez un auteur qui n’a rien de rabelaisien, rien de voltairien. Le mal est là : on est choqué de trouver si grande la place laissée aux sens, dans des romans qui annoncent des sentimens ; de rencontrer des brutalités et des crudités, dans un ensemble dont on loue par ailleurs la tenue et la distinction. Une confidence physiologique produit l’effet qu’une fausse note ferait tout d’un coup : c’est une sorte de souffrance qu’on éprouve. S’il faut accorder au lecteur la grâce de le croire intelligent, il faut bien lui accorder aussi celle de le croire délicat. — Les caractères ne sont pas saisis avec plus de finesse. La femme est un être qui profite de ses charmes pour satisfaire, plus que ses passions, ses intérêts : c’est ainsi qu’elle apparaît chez Rovetta. Elle est sensuelle, sans doute ; mais, avant tout, pratique. Elle cherche à dominer, non seulement par caprice ou par vanité, mais parce que toute domination rapporte. Les filles pauvres jettent leur dévolu sur les vieillards, et manœuvrent jusqu’à ce qu’elles aient capté une fortune avec un nom. Elles donneront peut-être leur beauté à d’autres ; mais d’abord, elles la vendent. Tous les moyens sont bons pour celles qui veulent se faire épouser, même les irréparables. Elles n’ont d’autre morale que celle du succès. L’âme de la femme, en effet, est atteinte d’une perversité maladive, qui parfois se manifeste dès l’enfance : nous voyons chez Rovetta de toutes jeunes filles analyser savamment leurs attraits, et faire, en vue de conquêtes plus importantes, l’essai de leur pouvoir sur de jeunes cœurs qu’elles affolent, et qu’elles abandonnent, une fois l’expérience terminée : elles n’ont même pas été émues. Il arrive que la dévotion, par une sorte de raffinement voluptueux et criminel, s’ajoute à cette perversité native : et nous avons alors une étrange confusion de la vie des sens et de la vie de l’âme, une déviation de l’amour et une déviation de la foi, qui tiennent des cas pathologiques. Par là, des livres