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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/608

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contient en peu de mots presque toutes les erreurs d’observation et les partis pris dont était capable, il y a cinquante ans, un critique pourtant novateur, indépendant et, comme on disait, d’avant-garde. Thoré avait été accoutumé, par son ami Rousseau, à regarder les arbres, mais personne ne lui ayant appris à voir les chevaux, il avait négligé de les observer de lui-même. D’autre part, il avait négligé de vérifier ce que deviennent, par un temps de neige et sous un ciel bas, les lois de la perspective aérienne. Aussi bien, semble-t-il avoir peu connu celles mêmes de la perspective linéaire. Il s’étonne qu’on aperçoive aussi près, en perspective aérienne, les fantassins de l’arrière-plan, qui lui paraissent si loin en perspective linéaire, et qu’il qualifie de « figurines microscopiques. » Mais ces fantassins ne sont pas loin. Les premiers sont aussi grands que la tête du cheval de l’Empereur, ce qui est beaucoup, car si, passant en omnibus, au milieu d’une avenue, vous considérez la taille des piétons sur le trottoir par rapport à la tête du voyageur qui vous fait face, vous trouverez qu’elle ne la dépasse pas sensiblement. Et, bien qu’ici nous ne soyons pas aussi près du cheval de Napoléon que nous le serions d’un vis-à-vis en omnibus, nous pouvons hardiment conclure que les fantassins de Meissonier sont fort près de son état-major. Ensuite, et c’est là le point capital, lorsque le ciel est couvert, sans qu’il y ait de brume, et quand la neige répandue sur la terre sert de réflecteur, les ombres sont très légères, la lumière très diffuse, les contrastes de plans très atténués, les distances très rapprochées et l’œil perçoit infiniment plus de détails, même au loin, qu’il ne ferait en plein soleil avec une éblouissante lumière. C’est justement l’effet reproduit dans le 1814, ce que les photographes appellent un effet photogénique : il s’accorde merveilleusement avec les qualités naturelles du peintre. Et, pour une fois, la seule peut-être, où son décor de nature justifie ses virtuosités microscopiques, on serait mal venu à les lui reprocher.

On les lui reprochera, au contraire, fort justement dans le tableau placé en face du 1814 comme pour servir de contre-épreuve : Antibes. Là, le peintre, peignant toujours de la même manière, qui est une manière petite, sèche, sans atmosphère et sans reflet, calomnie la grande nature, éblouissante, chaude et toute en vibrations lumineuses, où il a eu la malencontreuse idée de placer ses deux cavaliers et son paysan. C’est un