Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la Confédération générale du Travail ; alors elle deviendra aussi sage qu’elle l’est peu aujourd’hui, sage comme un propriétaire, sage comme un notable commerçant. Est-ce tout ? Non : il faut aussi que les syndicats qui s’y rattachent y soient représentés proportionnellement au nombre de leurs membres cotisans, au lieu de l’être tous comme aujourd’hui sur le pied d’égalité, qu’ils aient vingt-cinq membres ou qu’ils en aient vingt-cinq mille. Tels sont les projets de M. le président du Conseil, et sans doute ces réformes seraient heureuses ; mais il y a longtemps qu’on parle de la première sans avoir jusqu’ici tenté le moindre effort pour la réaliser. Produirait-elle d’ailleurs tous les résultats qu’on en attend ? C’est douteux. La loi de 1884 permet déjà aux syndicats de posséder, mais ils se détournent eux-mêmes de la propriété comme d’une tentation à laquelle il ne faut pas céder, comme d’un piège dans lequel il ne faut pas tomber. Soyez propriétaires, leur dit-on, afin qu’on puisse vous imposer des amendes réelles et que les jugemens rendus contre vous aient une sanction matérielle effective. Ce discours ne les convainc pas ; du moins il ne les a pas convaincus jusqu’ici, et nous craignons qu’il ne les convainque pas davantage par la suite. Quant à la représentation des syndicats proportionnellement au nombre de leurs membres, il faudrait, pour l’assurer, connaître ce nombre, et rien n’est, à ce point de vue, plus défiant et plus mystérieux qu’un syndicat. Nous sommes encore très loin de la réalisation du tableau idyllique que nous a présenté M. le président du Conseil. Il ne faut pas, dit-il, être trop pessimiste ; le temps travaille en faveur des idées saines et des intérêts légitimes ; la situation s’améliore de jour en jour. Nous lui répondons qu’il ne faut pas non plus être trop optimiste. Après de grands efforts suivis de quelques déceptions, la lassitude générale amène une accalmie apparente ; mais quel sera l’avenir ?

L’interpellation s’est terminée par un vote d’approbation et de confiance dans le gouvernement. Il fallait s’y attendre. Les Chambres oublient vite les émotions du passé, et quand on leur dit que tout va bien, ou va mieux, ou ira de mieux en mieux, ce langage leur plaît, parce qu’il leur épargne la peine de prendre des résolutions fortes ou qu’il en ajourne pour elles l’obligation. N’importe ; il eût été préférable de ne pas faire savoir officiellement à la Confédération générale du Travail qu’elle est trop grande pour qu’on songe à la dissoudre. Parlant à M. Georges Berry, M. le président du Conseil ne lui a pas caché qu’il trouvait son interpellation inopportune : elle l’était, en effet, puisqu’elle n’a pas d’autre résultat que celui-là.