Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/830

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la même époque, il composait son poème d’Edel, qui est, à proprement parler, un petit roman en vers, — inspiré peut-être de l’Olivier de François Coppée, — et qui aurait mérité plus de succès qu’il n’en a obtenu. Mais, hélas ! qu’ils sont rares, les poètes, même distingués, qui, de nos jours, atteignent le grand public ! Ces divers essais nous attestent du moins, chez M. Bourget, tout à la fois la précocité de la vocation de romancier et ses longues hésitations avant de s’arrêter à une forme fixe du genre romanesque. Mais ces hésitations mêmes, ces tâtonnemens et ce long détour à travers la poésie et la critique n’ont point été perdus pour son œuvre future. D’abord, à s’éprouver en diverses directions, il a pris plus nettement conscience de sa vocation principale. Quand, en effet, on est artiste, et même poète, quand, par conséquent, on est comme hanté du désir de créer de la vie avec des mots, de faire lever et marcher devant « les yeux de son âme » des êtres fictifs, et pourtant réels et vivans ; quand, de plus, on est né psychologue et moraliste, c’est-à-dire quand on se plaît à démêler l’ingénieux mécanisme de l’âme humaine, à philosopher sur les passions et les actions des hommes, — on est évidemment comme prédestiné à écrire ou des tragédies, ou des romans, surtout des romans peut-être, car c’est là la forme moderne de l’ancienne tragédie. D’autre part, à réfléchir et à disserter sur les œuvres d’autrui, M. Bourget s’est fait du métier littéraire en général, et du métier de romancier en particulier, une conception très méditée et très ferme ; bref, il s’est constitué une esthétique. Dès 1873, on le voit par l’article qu’il publiait ici même sur le Roman réaliste et le Roman piétiste, elle s’esquissait dans son esprit : il condamnait l’une et l’autre de ces deux formes romanesques, l’une au nom de la vérité morale, l’autre au nom de la vérité artistique, et il rêvait d’un art qui sût respecter à la fois la réalité et la moralité. Onze ans plus tard, dans un article intitulé Réflexions sur l’art du roman, écrit à propos du Rouge et Noir, et contemporain de ses premières tentatives romanesques, il indique très nettement la conception qui a désormais toutes ses préférences : il s’agit pour lui de renouveler le roman de caractères par « la mise en action des grandes lois connues de l’esprit. » C’est la formule même de son œuvre. Théorie et métier, il est en possession dès lors de tous ses moyens. Quand il débutera véritablement dans le roman, il le fera avec une décision de pensée, une