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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/857

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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

coup ont des traits fins et allongés. Tout autre, sauf d’assez rares exceptions, est le type de la femme : elle est courte, ramassée, solide, plantureuse ; sa face est large, son visage peu dégrossi. Ses cheveux, séparés par une raie au milieu du front, sont nattés en une multitude de petites tresses, d’où tombe par derrière une bande d’étoffe chargée d’énormes bijoux en argent, turquoises, corail. Deux bandes identiques, partant de derrière le cou, descendent par devant jusqu’aux pieds ; elles sont le plus souvent seules à voiler, — fort peu, — les poitrines : ces dames, de même que leurs époux, ont comme unique vêtement la capote de peaux de mouton, qui est bien lourde et bien gênante pour les travaux du ménage ; aussi est-elle presque toujours rejetée jusqu’à la ceinture.

Quelle vision d’humanité lointaine nous donnent ces créatures robustes, qui, presque nues, mais toujours chargées de bijoux comme des reines, vaquent avec solennité à des travaux de bêtes de somme, fléchissant sous le poids de hottes d’argol ou de grands tonnelets qu’elles vont remplir à la rivière ! On les sent aussi orgueilleuses de bien accomplir ces fonctions grossières, mais rendues par la nécessité sacrées à tous les primitifs, que d’étaler sur leur corps les signes tangibles de la richesse et de la puissance de leur époux. Et quand, sur le sommet de chacune des taupinières géantes, nous voyons se dresser en groupes leurs silhouettes massives, d’où se détachent, sous les cheveux pendant jusqu’à terre, les larges faces étonnées, les épaules solides, les bras musclés et les parures éclatantes, nous croyons voir apparaître, juchées sur leurs chars, les indomptables compagnes des Cimbres et des Teutons.

Pendant deux jours nous ne nous lassons point de visiter l’une après l’autre ces demeures étranges, qui ne ressemblent à rien qui ait été signalé sur la surface du globe, à notre connaissance. Il y en a une trentaine, qui peuvent abriter chacune de vingt à trente personnes, tant maîtres que serviteurs. Elles constituent chacune, avec leurs enceintes de palissades, des forteresses isolées.

Personne ne sort de chez soi sans être armé de son sabre, et, s’il va dans la campagne, de son fusil et de sa lance. La vie pastorale, que nous nous représentons sous des aspects bucoliques, n’est en fait qu’une vie de guerre et, d’aventures. La richesse du nomade, son bétail, n’est point, comme celle du sé-