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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/94

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vous, quittez-le et remettez-le au plus ancien de vos officiers généraux. » Quels rugissemens de colère n’eût-il pas poussés si, en présence des entassemens gargantuesques de la gare de Metz, des approvisionnemens de Forbach, de Sarreguemines, de Lunéville, de l’abondance des objets de campement, on lui avait répondu : Nous n’avançons pas, parce que nous n’avons pas ce qu’il nous faut.

Notre inaction du 20 juillet au 6 août a été la cause de notre premier et, peut-être, de notre plus irréparable revers, car « presque toujours les premières fautes nécessitent et entraînent les autres[1]. » Un de nos officiers généraux ayant appris de l’Empereur qu’il s’arrêterait après Sarrebrück, ne put retenir ses larmes. « Nous sommes perdus, » dit-il à la personne de sa confiance qui lui demandait la cause de son émotion. De ce jour, en effet, l’empire des armes nous a été virtuellement enlevé. Tant il est vrai qu’une armée comme la nôtre ne pouvait être défaite par l’ennemi qu’après avoir été défaite par ses chefs !

La cause de cette inaction fatale n’a pas été notre infériorité numérique, puisque, pendant tout ce temps, nous avons été en forces supérieures. Elle n’est pas imputable davantage à la pénurie de ce qui est nécessaire à la bataille, car nous l’avions plus qu’en suffisance. La cause réelle a été, — et je ne crois pas manquer à mon culte affectueux envers la mémoire de l’Empereur en le reconnaissant, — la cause réelle a été le commandement de l’armée entre les mains d’un chef dont les qualités éminentes de vaillance et d’intelligence étaient paralysées par une infirmité des plus déprimantes. Ce n’est pas au lendemain du jour où on est obligé de se faire sonder par un chirurgien venu de Paris qu’on peut se lancer dans une offensive vigoureuse. Dès le début de ce récit, nous sommes condamné à dire ce que nous serons obligé de répéter toujours et plus tristement jusqu’à la fin : « A la guerre, les hommes ne sont rien, un seul homme est tout. » (Napoléon Ier.)


EMILE OLLIVIER.

  1. Gouvion Saint-Cyr.