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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/49

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Pourquoi venait-elle de très loin, et en cette saison ? Véronique n’en doutait plus : ce devait être une chercheuse de tombe, comme il y en avait déjà plusieurs par le pays ; une femme partie du midi, ou de l’ouest, ou d’ailleurs, avec l’espoir de lire un nom sur le bras d’une croix de bois. Elles se ressemblent : même inquiétude, même courage, et cette pauvre bonne humeur, qui cache la peine et fait qu’on est mieux reçu. Pourquoi voyageait-elle seule ? C’était probablement une veuve. Elle avait déjà de l’âge. Mais oui : elle portait, autour du front et des tempes, une lisière de crêpe blanc entre des plissés noirs. A quoi bon l’interroger ? Quand on a eu sa part de misère, on est moins curieux de celle des autres. La mère Chanat n’avait pas besoin d’explication. Elle mit sa lourde main sur la main, gantée d’un vieux gant de Suède, que l’inconnue tendait à la flamme. Et le geste voulait dire : « On ne vous demande rien, ma chère dame ; vous êtes chez des bonnes gens ; ne tremblez pas, de vos deux petits bras maigres, vous qui êtes vêtue moins chaudement que moi ; mais prenez encore une poignée de feu, et allez dormir. » De son côté, la voyageuse, ayant entendu que Véronique parlait d’un fils qui ne reviendrait point, avait compris que leur malheur était le même. Bien qu’elle eût grande envie d’être renseignée, et de connaître où se trouvait la Pièce de Cent arpents, où, paraît-il, son fils avait été enterré, avec bien d’autres, et si quelqu’un, par hasard, avait pris soin des tombes, elle n’en voulut rien dire, car tous ces gens, comme elle-même, étaient bien las.

Sur un signe du père, Paulin saisit la paillasse dans la chambre voisine, et la porta dehors, dans la grange à moitié couverte. Alban le suivit, et, peu après, rentra, disant :

— Le temps va changer cette nuit. Le brouillard s’effiloche. Il y a une poignée d’étoiles dans mes peupliers.

Les pauvres gens ne se déshabillèrent pas. Ils s’étendirent. La bougie, à bout de mèche, fut soufflée. Le sommeil vint à tous à cause de la fatigue, et le vent, pendant qu’ils dormaient, roula et entraîna la brume dans les abîmes bleus.


Ce ne fut pas le chant du coq qui éveilla les dormeurs, comme autrefois, quand la ferme était riche et munie. Au fond de l’âme des femmes, et des hommes, la pensée était demeurée de ce qu’il faudrait faire le lendemain, germe obscur,