Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


MORALE ET MÉTAPHYSIQUE


Entre la philosophie pratique et la philosophie théorique, il y a certainement une différence de nature, que l’on a en vain essayé de supprimer. L’une concerne le « faire », l’autre le « voir ». Et comme on ne peut faire que ce qui n’est pas encore, ni voir que ce qui est déjà fait, l’une porte sur l’avenir, et l’autre sur le présent ou le passé. Si la philosophie théorique s’étend sur l’avenir, c’est en faisant de cet avenir un présent, et si la philosophie pratique étudie ses objets dans le présent, c’est en vue de l’avenir. On pourrait dire également, toujours dans le sens de la distinction précédente, que l’une prépare la réalité, en décide, et que l’autre la constate et l’exprime. Mais, avec cette différence, il y a une ressemblance qu’il ne faut pas non plus perdre de vue : c’est que l’une et l’autre consistent dans une mise en ordre, dans une coordination, de leurs objets. Coordination de jugements, c’est-à-dire d’affirmations portant sur l’actuel, ou coordination de volitions, c’est-à-dire d’affirmations portant sur le futur ; coordination exprimant ce qui est, ou coordination décidant de ce qui sera ; coordination plus simple ou coordination plus complexe, en raison de la différence des objets, — il y a une coordination dans toute science, dans toute philosophie, théorique ou pratique.

Dans un précédent article[1], nous avons montré que la coordination théorique n’est obligée, à aucun moment, de dépasser la limite du phénomène ; que la science phénoménale suffît parfaitement à la pensée la plus exigeante ; qu’elle est capable, avec le temps, de donner réponse à tous les véritables problèmes, et que, par conséquent, l’on ne saurait apporter à la métaphysique, dont l’objet est nécessairement ultra-phénoménal, une justification d’ordre purement rationnel. Tirerons-nous une autre conclusion, à propos de la coordination pratique ? Celle-ci forcerait-elle à dépasser le phénomène et la science proprement dite ? Bon nombre de moralistes, on le sait, persistent à être de cet avis. Il est vrai qu’aujourd’hui on est moins disposé qu’autrefois à faire dépendre la morale de certaines

  1. Revue philosophique, avril 1890.