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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/176

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une autre ? Il a été fait, en passant, un rapprochement entre la détermination causale et l’obligation : ce rapprochement va fournir la réponse. Au fond, l’obligation est-elle autre chose qu’une détermination causale ? De part et d’autre, n’y a-t-il pas la « contrainte », la ce coercition » que réclame Kant pour la loi morale ? Dites, si vous voulez, que la contrainte de l’obligation est « morale », « intellectuelle », nous le reconnaissons aussi ; mais qu’importe ? Il n’en est pas moins vrai qu’elle est une contrainte ; elle lie l’avenir au présent ; elle impose aux volitions futures une conception qu’elles n’ont pas à agréer ; et par cela même on est autorisé à conclure qu’elle est l’expression des rapports de causalité qui peuvent s’établir entre des volitions successives. En acceptant avec toutes ses exigences la coordination pratique, nous voulons la vouloir dans l’avenir : qu’est-ce à dire, sinon que notre volition consentante détermine des volitions semblables à elle, qu’elle pèse sur celles qui suivent comme une cause pèse sur son effet ? Et ce qui est vrai de la volition initiale est également vrai des suivantes, de telle sorte que la puissance de l’obligation va se renforçant de volition en volition. Enfin, comme il y a une volition plus ou moins marquée dans chaque fait, et que la chaîne causale n’est jamais interrompue, même au point de vue pratique, on peut dire que nous sommes constamment sous le coup de l’obligation, le plus souvent sans nous en douter, et que la puissance de l’obligation va se renforçant avec la vie. En vérité, cette notion de l’obhgation morale est restée bien longtemps obscure, surtout dans les philosophies pratiques qui lui ont donné une place importante : nous ne voyons pas d’autre moyen de l’éclairer que de la rapprocher de celle de détermination causale. En tout cas, l’obligation qui se prête à ce rapprochement suffit parfaitement à la coordination pratique. Détermination, c’est uniformisation : or nous n’avons pas demandé autre chose à l’impératif moral.

C’est donc au détriment de la liberté que la philosophie pratique réclame une obligation ? Sans doute. La détermination causale s’oppose directement à l’inconditionnement de la liberté. On ne peut être à la fois, et au même point de vue, libre et déterminé. Donc, là où l’obligation s’exerce, elle exclut la liberté. Et là où elle ne s’exerce pas, la liberté lui est indifférente. Disons que le triomphe de l’obligation, par conséquent des coordinations morales, serait l’exclusion complète de la liberté. À la suite d’une confusion assez fréquente, on protestera sans doute contre cette conséquence : mais comment l’éviter ? Quelle est la doctrine de l’impératif qui permettrait de comprendre comment une volition peut être, au même point de vue et sur le même point, obligée et libre ? Nous l’avons déjà