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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/203

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ANALYSES. — ch. letourneau. L’évolution politique.

M. L. professe, en passant, pour la constitution de 1793 une admiration que nous aurions peut-être quelque peine à partager. En tout cas cette constitution n’a pas fait ses preuves, puisqu’elle n’a jamais fonctionné. Il convient, ce semble, à la sociologie expérimentale d’être très réservée dans l’appréciation d’un système politique que l’expérience n’a pas consacré.

Des conclusions de M. Letourneau, revenons au corps même de l’ouvrage, c’est-à-dire à l’histoire de l’évolution politique. La tâche qu’avait à remplir M. L. était en un sens plus facile que dans ses autres ouvrages, en ce que les historiens se sont de préférence attachés à ce côté des institutions sociales. Mais, en un autre sens, elle était au contraire beaucoup plus difficile puisqu’il fallait justement éviter de se laisser déborder par le détail, qui, sur certains points, abondait, et utiliser, sans vouloir l’absorber, l’effrayante bibliothèque accumulée par les historiens ; sans parler de la complexité extrême des institutions politiques et de la difficulté de les isoler des autres éléments de l’organisation sociale, alors qu’elles en sont en grande partie la résultante. C’était là évidemment une entreprise considérable, et capable de faire reculer un travailleur moins courageux et moins prompt.

Quel plan M. L. a-t-il adopté pour ordonner une matière aussi abondante ? L’ordre analytique, consistant à distinguer les diverses fonctions de la vie politique pour les étudier successivement, a été, comme dans le précédent ouvrage sur la Propriété, presque entièrement sacrifié par M. Letourneau. Il n’en maintient que deux chapitres sur l’impôt et la guerre. Leur intérêt n’est pas contestable, mais leur utilité l’est davantage ; car le contenu de ces chapitres n’ajoute pas beaucoup aux données déjà fournies par l’exposition historique, et pouvait facilement y être réintégré. Dans le reste de l’ouvrage, la forme historique domine ; cependant l’ordre suivi[1] repose encore ici sur des principes distincts. Il est théorique dans les premiers chapitres, c’est-à-dire fondé sur une classification et une hiérarchie des formes de gouvernements. Dans les chapitres suivants, il est ethnographique, c’est-à-dire fondé sur la distinction des races. Enfin, dans les derniers, il est purement chronologique. Nous devons avouer qu’un ordre plus systématique était peut-être difficile à suivre, et que, même plus satisfaisant en théorie, il aurait peut-être, à l’user, présenté d’autres inconvénients. Nous nous plaisons à reconnaître que, dans son ensemble, l’ouvrage de M. Letourneau est aisé à suivre et facile à lire. La première partie surtout nous en a paru satisfaisante et d’un véritable intérêt. La partie proprement historique nous paraît moins heureuse ; de fait, une assimilation complète était ici à peu près impossible et il ne serait pas sage de demander à l’auteur de connaître tous les points de l’histoire

  1. Cet ordre étant identiquement celui qu’a déjà suivi l’auteur dans son précédent ouvrage sur la Propriété, analysé ici-même, il nous paraît superflu de le reproduire.