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Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/20

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nière désastreuse sur la situation économique de l’Angleterre ; car en admettant même que la politique de Pitt ait réussi à absorber les nations du continent dans les préoccupations diplomatiques, et à les détourner du travail productif auquel s’était vouée l’Angleterre, en admettant que le canon ne détruit pas la plus noble, la plus féconde de toutes les valeur, — l’homme, — et que la richesse de nos voisins ait pu s’accroître par l’effet d’emprunts et de taxes formidables, il est permis de croire que l’industrie s’accommode fort peu en général de ces procédés violents qui tantôt lui ouvrent une carrière immense, tantôt la refoulent dans une sphère étroite. Le stimulant que le monopole rigoureux des mers offrit à la production de la Grande-Bretagne eût donc été bien plus vif, bien plus puissant encore en l’absence de tout monopole. Les forces vives que ses flottes balayaient de la surface des mers refluèrent sur le continent, et le résultat le plus net de cette politique, soi-disant habile, fut de créer des rivalités commerciales là où il n’en existait aucune. Au lieu de la sphère étroite qui fermait le marché de chaque pays, il y eut une circonférence immense, passant par Gibraltar, Nantes, Amsterdam, Pétersbourg, Odessa, Naples, et où se fortifièrent les industries de la France, de l’Allemagne, de la Belgique ; — si bien que lorsque tout cet échafaudage de blocus et de douanes s’écroula, en 1815, il démasqua, aux yeux de l’Angleterre consternée, l’immense façade des manufactures élevées sur le continent.

Il le faut donc dire bien haut, en l’honneur des idées de paix et de fraternité : les guerres de la Révolution et de l’Empire n’ont pas plus profité à la Grande-Bretagne qu’au reste de l’Europe. Le rayonnement des richesses comme celui des théories politiques ne s’opère pas avec l’artillerie ; et il faut être singulièrement aveugle pour croire que c’est à coups d’épée qu’on habitue un peuple à consommer tel ou tel ordre de produits. Lorsqu’Arkwright disait, en face des progrès miraculeux qu’il avait déterminés par la pression d’un simple ressort : Je paierai à moi seul la dette de l’Angleterre ; lorsque les filateurs de coton, dans un élan d’orgueil industriel, se vantaient de pouvoir fournir de tissus le système solaire tout entier, — y compris même, nous osons le croire, les ouvriers en haillons de leur propre patrie, — ils ne comptaient certainement pas sur la toute-puissance du sabre pour la vente de leurs produits. Ils comptaient sur des procédés plus parfaits, des capitaux plus vastes, des institutions de crédit plus avancées, des frais de production moins coûteux ; enfin, sur tout ce qui amène le bas prix, et, avec le bas prix, les consommateurs.

Non. Le temps de ces mystifications est passé, et l’Angleterre sait fort bien que la mule-jenny et la vapeur ont plus fait pour sa grandeur que tous les protocoles, et qu’elle se développe quoique et non parce que les relations économiques du monde éprouvent des bouleversements profonds. Maintenant que la fumée du combat s’est dissipée, elle a fait le bilan exact des bienfaits et des maux qui lui ont été départis en retour de