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Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/243

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Il y a, selon moi, dans cet argument de M. Buchanan, beaucoup de vérité mêlée à beaucoup d’erreur. De ce que le haut prix des

    tables, une transgression des lois divines, il faut courber la tête devant ces mornes et implacables énigmes, et non les expliquer par une barbare préméditation de la Providence. En fait, la Providence n’intervient nullement dans de si basses œuvres ; elle permet les famines, les disettes : la force des choses, l’organisation sociale, la logique des événements font le reste, et nous sommes convaincu que Dieu ne s’opposerait nullement à ce que le travailleur eût toujours la même dose d’aliments, — résultat que M. Buchanan trouve incompatible avec ses desseins.

    Il était, comme on voit, fort inutile de faire jouer à la nature un rôle si peu digne d’elle, et d’introduire jusque sur le terrain de l’économie politique ces influences occultes et ces miracles qui ont tant tourmenté les alchimistes et les philosophes. Cela ne convient ni à notre époque, ni à nos esprits, et il suffisait, dans cette circonstance, de l’usage modeste du bon sens.

    Les résultats indiqués par le .judicieux commentateur de Smith, sont, en effet, faciles à expliquer, et nous les avons déjà expliqués plus haut. Ainsi, les subsistances venant à hausser, le travail se ralentit immédiatement dans toutes les branches de la production ; et cela forcément, fatalement, par cette loi de solidarité qui lie toutes les classes de la société. Si les agriculteurs sont misérables, ils achètent moins de vêtements, — ce qui restreint la production manufacturière ; si les tisserands sont misérables, ils consomment moins de pain, moins de viande, moins de vin, — ce qui restreint la production agricole. De là, diminution dans la demande des bras, par conséquent, baisse dans les salaires. Pas m’est besoin des divinités de l’Olympe pour produire et démontrer ces fléaux ; pas n’est besoin d’elles non plus pour y porter remède, le progrès des connaissances humaines et des institutions sociales tendant chaque jour à les affaiblir. C’est ainsi que l’amélioration des méthodes agricoles a rendu les disettes infiniment moins fréquentes : c’est ainsi que la rapidité des voies de communication a mis les continents anciens de plein pied avec les continents nouveaux ; c’est ainsi que les pays où les récoltes ont été abondantes peuvent laisser s’épancher ces richesses sur les pays frappés de stérilité, et échanger, dans le langage de la Bible, leurs vaches grasses contre leurs vaches efflanquées ; c’est ainsi que l’égalité des partages tend à assurer à chacun une place au grand festin que donne la terre à ses enfants ; c’est ainsi, enfin : que la liberté du commerce, en élargissant la zone où se puisent les produits, et celle où s’achète le travail, prépare un équilibre futur que troubleront seulement de rares et faibles secousses.

    Sans accorder à ces généreuses réformes des vertus irrésistibles, et en faire une panacée infaillible, nous les croyons infiniment plus puissantes que le manichéisme de Buchanan. Incarnées dans cette association géante qui les fit triompher en Angleterre, à la voix inspirée de Cobden, — apôtre de cette religion de la liberté dont Smith, Condorcet, Rousseau avaient été les révélateurs ; inscrites dans les lois commerciales d’un grand peuple, par la main d’un grand ministre, qui a enlevé près de douze cents articles aux tyrannies du fisc, elles ont pénétré dans les intelligences les plus avancées de notre pays, et pénétreront bientôt dans notre