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Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/25

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pas même devant ce qu’il appelait une apostasie, et ces pénibles impressions glacèrent des effusions de famille où Ricardo ne cessa cependant jamais de se conduire en homme qui ne veut pas mentir à sa conscience et en fils qui n’oublie ni ses devoirs, ni ses sentiments. Une séparation devint bientôt inévitable et eut lieu en effet. Ricardo, livré à ses propres ressources et aux impérieuses exigences de la vie, eut foi en lui-même et communiqua sa foi aux autres. Les encouragements, les services délicatement rendus ne lui manquèrent pas dans cette phase critique de la vie. Il mit au service de son avenir sa jeune expérience : il remua par millions des affaires que lui attiraient une activité rare, un talent plus rare encore : et tandis que sa fortune grandissait, comme par enchantement, tandis que la main d’une femme chérie, miss Wilkinson, fermait les blessures de son âme éprouvée, il prenait rang dans l’opinion de ses compétiteurs à la Bourse, et se voyait désigné par eux comme une des illustrations futures de la nation[1].

À vingt-cinq ans, Ricardo n’étant plus contenu par les soucis de sa position sociale, se voua aux études scientifiques qui exerçaient depuis longtemps déjà une sorte de fascination sur son esprit. Il paraîtrait même que le mariage, par la sévérité de ses allures, contribua puissamment à le diriger dans cette voie de méditations et de recueillement au bout de laquelle se trouvaient pour lui de si beaux triomphes, « Jusque là, nous a dit » sa sœur, noble intelligence et noble cœur, l’étude lui avait paru une fatigue, une rebutante occupation : il lui fallait l’agitation des affaires, le bruit des spéculations ; et à part quelques expériences sur l’électricité dont il me faisait spectatrice avec un naïf orgueil de physicien amateur, je

  1. Voir une notice sur Ricardo insérée dans l’Annual Obituary de 1823 et qu’on croît avoir été écrite par un de ses frères. On peut encore consulter l’article qui sert d’introduction à l’édition de Mac Culloch, ainsi que deux articles remarquables : l’un publié dans la Penny Cyclopœdia et attribué à M. Porter, l’autre faisant partie de la belle galerie où Lord Brougham a évoqué et ranimé par son talent prestigieux les hommes marquants du règne de Georges III. Je me suis adressé moi-même à la famille de l’illustre écrivain dont j’essaie d’esquisser la physionomie : et j’y ai trouvé une de ces hospitalités anglaises, généreuses et cordiales, qui ouvrent lentement la porte devant l’étranger, mais ne la ferment plus dès que cet étranger s’est assis au foyer. J’ai pieusement fouillé dans les regards de ceux qui ont vécu près de Ricardo, dans leurs gestes, dans leurs souvenirs — ces archives éphémères — pour y puiser quelques incidents nouveaux ; et si j’ai peu emporté de ces incidents, j’ai au moins acquis une révélation plus nette de Ricardo et une sorte de couleur locale qui, pour les portraits, réside dans les épanchements du Sweet home. L’auteur des Principes d’Économie politique est un de ces hommes qui donnent à penser plutôt qu’ils n’émeuvent : on le juge plutôt qu’on ne le peint, et dans cette noble famille, qui a pour chef un homme d’une valeur aussi considérable que celle de M. Porter, secrétaire du Board of Trade, à qui l’on doit un véritable chef-d’œuvre d’économie sociale : The Progress of the nation ; dans cette famille, dis-je, on se rappelle D. Ricardo, pour son cœur, pour son talent et non pour les épisodes de sa vie. Je crois que c’est là un éloge pour tous. A. F.