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Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/43

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qu’un saint réfugié dans une pauvre chaumière de Bretagne ôta son manteau mouillé par l’orage, et ne trouvant pas de patère, le suspendit à un rayon de soleil. La circulation de papier, telle que le voudraient de prétendus économistes du jour, représente exactement ce rayon de soleil, et nous croyons que c’est un bien frêle appui pour lui confier la richesse de toute une génération. La liberté seule a des bases assez larges pour résister aux secousses, et si Ricardo eût vécu de nos jours, s’il eût pu voir son pays arracher à la main crispée de l’aristocratie la réforme électorale et la réforme économique, il n’eût pas hésité à chercher, comme nous, dans la liberté, la solution vraie du crédit. Nous n’en voulons pour preuve que ses vues profondes sur les impôts, sur le haut prix des lingots, et, avant tout, ce chef-d’œuvre de dialectique dans lequel il a révélé les misères de l’amortissement, — cette caisse à double fond avec laquelle les financiers ont jonglé si longtemps et si habilement.


Cependant les années s’écoulaient rapides et fécondes pour Ricardo. Les revirements du commerce et de la politique ; la nouvelle situation que la paix avait faite à l’industrie anglaise ; la prédominance du travail mécanique sur le travail manuel ; les populations, sollicitées par une prospérité industrielle que le moindre souffle pouvait renverser, et s’entassant dans les ruches bourdonnantes du Lancashire et du Yorkshire, le budget grossi de tout un arriéré de conquêtes, de colonisations, de violences et d’emprunts ; tout cet ensemble de faits, éclatants et sombres tour à tour, l’avait entraîné bien au delà des questions de bourse et de crédit. On peut croire qu’au spectacle du gaspillage de richesses, de sang et d’intelligence causé, par la guerre, au profit d’une caste, son enthousiasme grandit pour le travail, pour la paix, dont l’inépuisable fécondité suffisait à réparer tant de sacrifices. Et c’est ainsi que l’idée dominante de ses Principes, la suprématie donnée au travail humain se révèle déjà dans le remarquable Essai qu’il fit paraître en 1815 sur les profits du capital et la baisse des prix du blé.

Pour Ricardo, la seule richesse qui sollicite les méditations de l’économiste est la richesse créée par le labeur de l’homme, celle que J.-B. Say a classée sous le nom de richesse produite ou artificielle. De là ce principe que les produits valent en raison du travail qu’ils ont coûté, principe qui mesure la valeur des choses aux frais de production et tient compte à l’homme de la plus faible somme d’efforts, de la plus petite goutte de sueur. Ricardo se tient ainsi également éloigné de ces théories passablement bouffonnes qui rangent, au nombre des richesses sociales, la modération, la prudence, la santé, la sobriété, une humeur toujours égale, et de ces dogmes exclusifs qui décrétaient de stérilité tout le travail manufacturier et commercial. Partout où il voit une œuvre accomplie avec un effort physique ou intellectuel, il voit place pour une rémunération, et nous ne croyons pas qu’il soit jamais tombé de la plume d’un homme ni des lèvres