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Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/49

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de l’intérêt, cette rente, qu’ils refusent au landlord, ils la reçoivent eux-mêmes à titre de middelemen, comme cela se pratique en Irlande ; et la tenure entachée de féodalité devient entre leurs mains, par une épuration soudaine, un contrat des plus démocratiques. Si bien que le cri poussé contre le monopole terrein, est parti de deux points qui présentent dans la constitution de la propriété le plus saisissant des contrastes : — les États-Unis, l’Irlande ; — d’un côté, l’amoncellement de la population sur un sol que la subdivision des tenures a réduites en poussière ; de l’autre, une population disséminée sur d’immenses espaces qu’elle ne peut ni couvrir ni féconder. Et pourtant la haine de la rente éclate à un degré égal des deux côtés. Seulement, en Irlande, la révolte a quelque chose de lugubre, de fatal. C’est un délire dans lequel une nation, longtemps foulée aux pieds, mutilée, exploitée, exerce de terribles représailles et consent à mourir pourvu que ce soit sur le corps de l’ennemi. Mais les attentats des antirenters, tristes imitateurs des tenanciers de l’Ulster, n’ont pas l’excuse redoutable de la faim, et ils offrent même un aspect clandestin et grotesque, peu fait pour les justifier aux yeux de l’histoire. À peine ces niveleurs osent-ils se risquer à la lueur d’un incendie, et l’on peut lire dans une des plus remarquables créations de Fenimore Cooper[1], les incidents nocturnes de ces niveleurs qui ne veulent pas même de clochers, parce que la flèche s’élançant au ciel semble défier le dogme de l’égalité, et qui, dans d’ignobles mascarades, ne trouvent pas de meilleur moyen pour abolir la rente territoriale que de goudronner et de couvrir de plumes symboliques les hommes que leurs étranges doctrines ne parviennent pas à séduire.

Certes, cette protestation combinée, en Europe et en Amérique, contre la rente, n’est pas une preuve que cette rente n’existe pas. On ne s’arme pas ainsi contre un fantôme. Et lorsqu’on voit que l’ébullition des antirenters, tolérée, sinon protégée dans une incroyable circulaire du gouverneur de New-York, s’est calmée par la force même des choses et des principes, on est invinciblement amené à reconnaître que la rente est contemporaine du premier propriétaire sybarite.

Un mot seulement en terminant cette rapide réfutation d’une doctrine qui, du reste, n’a été qu’une occasion d’argumenter à l’infini et de faire de la haute scolastique. S’il est vrai que les prix se règlent toujours sur les frais de production des terrains les plus pauvres, comment expliquer l’immobilité à peu près constante de la valeur du blé dans une civilisation si avancée : et surtout comment expliquer l’abaissement de prix que subiraient les denrées agricoles, et par suite la rente, dans le cas où l’on ouvrirait nos frontières à deux battants ? Il n’est donc pas vrai que la rente n’ajoute rien aux prix, et Malthus lui-même l’a reconnu lorsqu’il a dit à J.-B. Say, dans une lettre précieuse : — « La rente n’influe donc pas sur le

  1. Ravensnest. 2 v. in-8o.