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Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 2, 1916.djvu/102

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vages, celui-là, dirons-nous ne pouvait guère avoir un immense égoïsme.

Il est vrai que le cœur humain est bien complexe, et que la profession qu’une personne a embrassée, la haute vocation qu’elle a suivie, ne détruit pas toujours les tendances que la nature peut lui avoir données[1] ; mais, en règle générale, les incompatibles disparaissent ou s’atténuent, et s’il faut qu’elle reste avec des défauts, car tout le monde en a et nul n’est parfait, du moins ces défauts s’harmonisent-ils avec son nouvel état. Dans le cas du missionnaire, par exemple, l’égoïsme doit ainsi faire place à des imperfections qu’une foi vive, aux prises avec les excentricités humaines, n’empêche pas de surgir, ou que cette foi même, si elle n’est pas tempérée de prudence, peut inspirer. L’abbé Le Loutre avait donc ses défauts, sans doute, encore que ces défauts aient été, croyons-nous, le contraire de celui dont l’historien américain, dans sa courte psychologie, l’a revêtu.

Au reste, où est, dans les actes de cet abbé, la preuve de cet « immense égoïsme » ? Est-ce parce qu’il harcela les établissements anglais ! Est-ce parce qu’il s’efforça de pousser les Acadiens à émigrer en terre française, quand cette émigration les privait de tous leurs biens ? L’on peut facile-

  1. La grâce ne détruit pas la nature, mais elle bâtit dessus, la surélève et la perfectionne. Si surnaturelle que soit la vocation à laquelle l’on a été appelé, cependant, la grâce divine ne corrige pas tous les traits défectueux dont on peut être marqué ; mais elle est assez forte, en effet, pour effacer, de ces traits, ceux qui entraveraient l’œuvre pour laquelle on a été choisi, et qui iraient contre la fin même de la vocation que l’on a reçue. Ainsi, égoïsme personnel et vocation apostolique, sont deux termes qui répugnent l’un à l’autre, qui s’annulent réciproquement. Ce n’est pas à dire cependant que le meilleur missionnaire soit sans défaut absolument, ne puisse donner dans des travers d’esprit et autres. La grâce ne violente pas la nature, mais la réforme dans la mesure où il est besoin pour qu’elle obtienne sa fin essentielle.