Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 2, 1916.djvu/480

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[ 454 ]

À PROPOS DU MOT ABOITEAU


(Note 1 du ch. xv.)


QUESTIONS ET RÉPONSES


Question. — « Je désirerais savoir d’où vient un mot que les dictionnaires ne donnent pas, mais qu’emploient tous les historiens qui ont parlé des choses d’Acadie. Les Acadiens, en effet, pour protéger leurs terres contre les inondations, construisaient des espèces de digues très fortes. Et ces digues, Diéreville, dans son Voyage en Acadie, les appelle des aboteaux. D’autres ont écrit depuis aboiteaux.

« Ce mot est-il un mot de patois ? Où serait-il possible de lui trouver une racine bien française ? Au mot abot, le dictionnaire Hatzfeld et Darmesteter dit : « Entrave de fer ou de bois… » Ne serait-ce pas là l’origine du mot que je cherche ? Des digues sont bien des entraves. Et comme c’était l’eau malfaisante qu’il s’agissait d’entraver, dans les terres basses d’Acadie. — au mot abot, Diéreville aurait joint — -eau — d’où ce néologisme formé d’un archaïsme comme racine, et d’un substantif, qui est toujours d’usage courant — comme c’est bien le cas de le dire, puisque c’est d’eau que l’on parle.

« J’aimerais savoir votre opinion là dessus… »

Henri d’Arles.


Réponse. — Aboteau est, en effet, un mot répandu, non seulement en Acadie, mais aussi dans certaines régions de la province de Québec. On l’a relevé dans Témiscouata, Kamouraska, l’Islet, Montmagny, et généralement dans la région de la Province à l’est de Québec.

Il se prononce le plus souvent abouéteau (abweto), parfois aboiteau (abwato), plus rarement aboteau (aboto).

Il sert généralement à désigner des espèces de remblais établis sur les bords d’une rivière pour protéger les terres contre l’inondation, comme le dit notre correspondant. Par une extension qui s’explique facilement, il arrive qu’on appelle aussi aboiteau une masse de glace qui est d’abord formée sur le bord d’une rivière et que les eaux entraînent ensuite dans la débâcle du printemps. Clapin (qui relève aussi la forme aboideau) signale un autre sens :

« A sluice through a dike so arranged that the water can run out of the creek at low tide. When the tide is coming on, a valve automatically closes the passage. » (A New Dictionary of Americanisms.) Ce sens aurait été relevé à Grand Pré.

Le mot aboteau, sans être de l’Académie, est connu des lexicographes français.

Littré (Suppl.) l’enregistre : « Aboteau, s. m. Barrage, obstacle mis au cours de l’eau, dans la Saintonge. »

Larousse le donne aussi, avec le même sens.

S’il n’est pas classique, aboteau est donc bien près d’être français tout de même.

D’où vient-il ?