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Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 2, 1916.djvu/98

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modèle. Mais nous refusons à admettre cet « égoïsme effréné » dont il le décore. Nous ne voyons rien qui appuie cette assertion : le contraire est exactement prouvé. Pour en arriver à juger Le Loutre d’une manière à peu près satisfaisante, il faut se pénétrer des sentiments et des idées qui animent ordinairement un missionnaire. Pareille étude, on le comprendra, était difficile, sinon impossible, à cet auteur, même s’il eut été doué de la droiture que nous lui contestons, et de la pénétration dont il nous paraît, à un certain degré du moins, également privé.

De plus, il faut faire cette étude à la lumière des idées de l’époque et des circonstances particulières de lieu[1]. Si le fanatisme national était grand, le fanatisme religieux l’était bien davantage. Les préjugés avaient poussé de profondes racines. La persécution commençait à peine à se relâcher de ses rigueurs révoltantes, mais l’intolérance subsistait dans toute sa force. Il n’y avait pas longtemps que la France avait chassé les Huguenots de son sein ; l’Irlande haletait sous le talon de l’Angleterre ; partout les minorités souffraient sous l’oppression[2]. Que de crimes ont été com-

  1. Richard pose ici un principe qui s’applique à l’histoire en général, et non pas seulement à tel épisode ou à tel personnage du passé. Le premier devoir de l’historien, s’il veut comprendre la matière dont il traite et l’apprécier juste, ment, est de se faire une mentalité qui soit en harmonie parfaite avec les hommes et les choses de l’époque qu’il étudie ; de s’abstraire en quelque sorte de ses entours de temps, d’espace et de personnes, pour vivre en arrière, parmi les événements qu’il veut évoquer. C’est la seule manière pour lui d’arriver à une représentation fidèle des âges évanouis. Tite-Live l’avait bien compris, lui qui disait qu’à force de compulser les chroniques de la vieille Rome, il s’était fait une « âme antique ».
  2. Si l’auteur vivait de nos jours, que ne dirait-il pas ? Oserait-il soutenir que le monde a beaucoup marché vers la tolérance, après qu’on a vu le martyre de la Belgique, l’écrasement de la petite Serbie par les ignobles Allemands, les