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Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/146

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LES MENDIANTS DE PARIS

— C’est toi, la Rourette ! dit-il ; tu as donc, spéculé sur les chemins de fer, que tu viens faire ripaille au Trou-à-Vin… Depuis que le monde est monde, on ne t’y avait jamais vue.

— Ah ! dam, répond l’affreuse vieille, c’est mon moutard qui me vaut ça… On parle de la poule aux œufs d’or, ce n’était qu’une alouette en comparaison de ce chérubin !… Et dire que j’hésitais à le voler le mois passé !

— On manque plus souvent la fortune que la fortune ne vous manque, dit le sentencieux mendiant.

— Aussi, je l’aime comme la prunelle de mes yeux, cet amour… On a beau dire, il n’y a que les riches pour faire de ces petites créatures délicates et pâlottes qui attendrissent le monde et lui font lâcher les gros sous. Nos enfants, à nous autres, ça ressemble au Pont-Neuf pour la santé, on ne fait rien avec…

Près du recoin où sont couchés les enfants et animaux, se forme une espèce de vestiaire, où les mendiants viennent déposer les jambes de bois inutiles, les écharpes qui soutenaient des bras dispos, les barbes blanches postiches, les haillons qui recouvrent des habits moins délabrés, les écriteaux qui n’en imposent plus ; puis les provisions d’allumettes chimiques, les cartons contenant du papier à lettre, des crayons, des chaînes de sûreté ; enfin, tous les instruments de musique, violons, vielles, fifres, clarinettes et hautbois.

Ensuite les gueux vont s’asseoir en immense cercle sur les bancs, sur les tabourets ou sur leurs sabots, le long des quatre murailles de la taverne, montrant de là toutes leurs figures épouvantables, éclairées par la lueur terne et rouge des chandelles.

Les personnages d’importance arrivent les derniers.

De ce nombre est M. Friquet, suivi de sa compagnie de mendiants à domicile, en assez belle tenue, comparativement au reste de l’assemblée. Aussi se lève-t-on de tous côtés pour faire place sur les bancs à lui et aux siens.

Après ceux-ci vient le vieux grognard, qui s’adresse aux sympathies militaires du peuple français. Il se dit blessé de Waterloo, porte des moustaches grises, un bonnet de police, une blouse trouée, un pantalon bleu à liserés rouges. À parler vrai, il a été savetier de profession, a fait toutes ses campagnes au cabaret, et, après de rudes travaux, s’est retiré dans la mendicité.

Mais à l’entrée de la salle, on entend un son de violon