Aller au contenu

Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
207
LES MENDIANTS DE PARIS

de turquoises, la trempa jusqu’aux doigts dans l’encre et commença sa tâche.

Elle choisit d’abord entre cent positions diverses celle qu’il convenait le mieux de donner à la main, puis traça, en s’y reprenant à différentes fois, ces mots assez signifiants :

« Mon bien-aimé… »

Arrivée là, elle se rejeta en arrière, respirant largement et s’essuyant le front, comme il est naturel à toute personne qui vient de se livrer à un rude labeur.

Au bout de quelques minutes, sentant renaître ses forces, elle reprit sa première posture, regarda longtemps ce qu’elle venait d’accomplir dans cet art difficile de convertir ses pensées en caractères perceptibles aux yeux, et en retira un grand contentement d’elle-même. Lorsqu’elle eut suffisamment joui de son œuvre, elle pensa à la compléter, et, se trouvant en veine de travail, écrivit avec une promptitude qui devait quelque peu nuire à la perfection des lettres ces mots :

« Oh ! Pasqual !… »

Ici la main ne demandait pas mieux que d’aller plus loin, et si elle s’arrêta subitement, ce fut, cette fois, la faute de la pensée, qui ne pouvait trouver ainsi tout à coup quelque chose à ajouter à cette exclamation suivie d’un nom propre.

Robinette plongea son front blanc et lisse dans sa main gauche tandis que la droite tantôt tournait et retournait la plume, tantôt feuilletait un roman posé sur la table, pour y puiser quelques inspirations… Cependant les minutes s’écoulaient, et il ne se présentait sans doute son esprit que des phrases de peu de valeur, car si elle se penchait sur la fable pour leur prêter un corps matériel, elle s’arrêtait toujours avant de commencer, et se rejetait au fond, de son fauteuil, hochant la tête d’un air de doute et craignant évidemment de donner une suite indigne à ces mots : Oh ! Pasqual !

Ce qui finit par l’impatienter à l’excès.

— Sapristi ! s’écria-t-elle en frappant de son petit pied le coussin, qui le soutenait, je sens, dans ma tête une foule de jolies choses, et puis quand je vais pour les coucher là-dessus, pchtt !… tout s’envole.

Cependant les inspirations du roman et ses propres élucubrations ayant mûri ensemble dans son esprit, ce fut au moment même où elle désespérait que la verve se dé-