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Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/247

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souffrances de plus pour ce peu de jours qu’il me restait à languir sur la terre.

J’écrivis à M. de Rocheboise, non plus avec enthousiasme et courage, comme dans ma première lettre inachevée, mais la mort dans l’âme… Parfois, en traçant ces lignes, un doute, un espoir enivrant faisait trembler ma main : je me disais que près de moi mon fils aurait du moins mon amour, et que l’amour immense, infini, est une richesse aussi, qu’il en découle bien des lumières pour une jeune âme !… Hélas !… il fallait penser en même temps combien cette tendresse est impuissante à donner tout ce que l’existence, large et ambitieuse d’un jeune homme demande… Et je conduisis jusqu’au bout ma triste tâche ; J’écrivis que mon enfant serait remis entre les mains de son père.

« Ce fut ainsi, mon fils, que tu devins Herman de Rocheboise. »

— Oh ! ma mère ! ma mère ! au prix de tant de larmes et de souffrances pour vous ! dit Herman en baisant les mains de la pauvre Jeanne. Mais, votre sacrifice sublime n’a pas été perdu ; l’amour que vous aviez fait reposer sur moi y laissait sa trace ; j’ai toujours senti que ma mère devait être un ange de tendresse et de dévouement ; je l’ai toujours adorée et bénie sans la connaître.

— Je demandai pour toute grâce, reprit Jeanne, qu’on te laissât le nom d’Herman, que je t’avais donné, et qui était celui de mon père. Jusque-là ; mon fils, tu avais été dans ce monde comme un pauvre oiseau des champs, sans déclaration authentique, sans baptême ; je n’avais songé à rien, qu’à t’aimer… M. de Rocheboise remplit ces formalités, il te reconnut, t’adopta, te donna auprès de lui le rang d’un enfant légitime…

« Je ne parlerai pas de ma douleur après cette séparation. La veille encore, j’avais vingt-trois ans, j’étais belle… quelques jours après, je ne me reconnaissais plus ; mon visage avait pâli dans une solitude mortelle ; mes yeux étaient devenus ternes et hagards à regarder sans cesse avec désespoir les lambris de cette chambre vide…

« Je n’ai plus à te raconter que ma triste vieillesse.

« Dès que je pus reporter mon attention sur moi-même, je songeai à reprendre la route du monastère vers lequel ma première inspiration m’avait dirigée… Je partis… et, cette fois, l’amour ne me retint plus en chemin.

« J’entrai au couvent des dames de Sainte-Marie, à Nantes, vers la fin de l’hiver de 1816.