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Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/249

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une piété sincère et profonde ; mais il y a loin de là faire de la religion une profession matérielle, où les prières, les élans de l’âme vers Dieu sont des tâches à remplir pour chaque heure de la journée.

« Ne pouvant me plier à ces lois monacales, j’étais sans cesse en contradiction avec la règle, avec mes sœurs, avec la cloche qui m’appelait à l’église, avec les murs du cloître, où je voyais inscrites des maximes antiques faites pour un autre âge.

« Il se passait peu de jours sans que je subisse les punitions d’usage. J’étais mise à genoux, les bras en croix, je prenais la robe noire, signe de pénitence, je portais la corde au cou, qui, dans la pénalité catholique, est affectée aux plus grands pécheurs.

« L’amour idolâtre que je conservais pour mon enfant était aussi une grande cause de blâme : on me prêchait sans cesse le désintéressement, on m’imposait des silences intérieurs, c’est-à-dire des intervalles de temps où, faisant taire toute pensée, on reste en extase devant Dieu ; ensuite, lorsque j’allais au cabinet de direction rendre compte à la supérieure de la manière dont j’avais accompli ce devoir, il fallait avouer qu’en regardant le ciel, je suivais de l’œil les nuages vers le lieu où était mon fils ; que, dans chaque objet de piété familier à mes mains, je retrouvais la pensée de mon fils que j’y avais laissée la veille… Et alors, je devais reprendre la corde au cou en signe d’esclavage à mes passions.

« Vingt-quatre années, mes enfants, se passèrent ainsi.

« Ce terme venait de s’écouler, lorsqu’un jour je me trouvais avec quelques religieuses dans la cour d’entrée de notre maison. Nous étions réunies devant la balle d’un colporteur qui nous vendait des chapelets, des crucifix, des boîtes à reliques. La clôture observée ne nous défendait pas cependant de communiquer avec les étrangers quand cela était nécessaire pour le service de la communauté.

« Tandis que nous faisions choix de ces objets de piété, l’angelus vint à sonner. Nous nous mîmes à genoux pour réciter la salutation angélique… Mais moi, au lieu de baisser la tête dans mes deux mains jointes comme mes sœurs, je continuai à regarder avec émotion le colporteur… C’est qu’il devait avoir vingt-cinq ans à peu près, et vingt-cinq ans était l’âge de mon fils !… Ce jeune