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Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/31

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LES MENDIANTS DE PARIS

Ce petit salon, qui appartenait à l’appartement particulier de madame de Rocheboise, avait déjà reçu le charme indéfinissable que répand autour d’elle une femme de goût. L’assemblage de glaces, de dorures, de marbre, de velours qui composent le luxe d’un ameublement, avaient pris dans l’habitation journalière le sceau de l’élégance et de la grâce. La douce teinte du jour, où se fondaient la blancheur et l’azur des doubles rideaux, et l’air imprégné de faibles et suaves parfums, étaient dans une parfaite harmonie. On respirait en cet endroit la douceur d’une retraite aimée.

Le plus précieux ornement de cette pièce était un tableau d’histoire, représentant Valentine de Milan à Château-Thierry, où elle reçoit le voile de deuil qui lui apprend la mort de son mari. Cette toile, qui attestait un talent élevé, était peinte par madame de Rocheboise, et venait d’être rapportée de l’exposition du Louvre, où elle avait obtenu beaucoup de succès.

Valentine, assise sur une causeuse devant la fenêtre, tenait un mouchoir de tissu transparent, sur lequel elle brodait son chiffre uni à celui d’Herman.

Son jeune mari venait d’entrer, après avoir accompagné jusqu’au delà du jardin quelques amis auxquels il avait donné à déjeuner. Il essuyait ses cheveux humectés par la chaleur en jetant le plus furtivement possible un regard vers la glace.

Il vint s’accouder sur le dossier du siège de Valentine.

— Déjà à l’ouvrage, madame ? dit-il. Nous sortons à peine du tumulte de la noce, et vous voilà occupée à broder comme dans les jours les plus calmes.

— J’avais hâte d’entrer dans ma nouvelle existence, répondit-elle, de commencer ces heureuses journées que je dois passer près de vous, au milieu de mes occupations habituelles… Cette broderie représente notre vie intime, Herman, c’est pourquoi je me suis empressée de la prendre.

— Vous y voyez une si douce chose !

— Mon Dieu oui ! dit-elle en posant le mouchoir sur ses genoux et en tournant sa tête souriante vers Herman. Travailler sous les yeux de l’homme qu’on aime, c’est lui exprimer l’intimité, la douce solitude à deux dont on veut jouir avec lui… Depuis la quenouille de nos grands’mères jusqu’à nos tapisseries à la mode, l’ouvrage qu’une