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Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/56

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LES MENDIANTS DE PARIS

— C’est vrai, ça ?

— Vrai et certain. Aurais pu avoir pour deux mille francs, si avais été blanc, ce qu’ai payé dix mille. Ma pelure noire coûte donc à moi huit mille. Et c’est pourquoi ai si vite été ruiné.

— Allons, joue donc, bavard !

— La dernière petite blanche… ça y est.

— Attention !

Quelque misérable que doive paraître cet entretien, il inspirait aux deux spectateurs cachés de cette scène une curiosité pénible qui les tenait fixés à leur place.

— Je joue pour quarante, dit le nègre.

— J’ai gagné dans la main, répondit Corbeau.

— Malédiction sur la tête à toi !

— Voyons… cartes sur table, dit la galerie.

Quatorze de rois, — quinte au valet et sept cartes de point. — Quinze et sept vingt-deux et quatorze quatre-vingt-seize. — Je fais repic.

— Tonnerre ! dit le Cafre, c’est pourtant vrai !

— Enfoncé, Jupiter !

— Je joue sur parole.

— Gringalet !… Et que donnes-tu pour gage ? Ta besace ? les toiles se touchent. Ta béquille ? on te l’a cassée sur le dos, un jour que tu jappais trop fort.

— J’ai dit ma parole.

— Ta parole… un gueux de païen qui n’a ni foi ni loi, et mourra comme un chien.

— Oh ! gronda le Cafre, si j’avais ma zagaye ?

— Tu nous en ferais sentir la pointe ?

— L’intention est tout de même ! Il faut lui répondre à cet oiseau de nuit.

— Venez-y ! s’écria Jupiter en s’armant d’un broc de vin et le brandissant sur sa tête de manière à ce que le reste du liquide, coulant en large filet, lui donnait à l’instant même le baptême dont on venait de lui reprocher l’absence.

Les poings se tiraient des manches, les pipes volaient en l’air, les jurons énergiques grondaient déjà, comme la trompette du combat.

Le Cafre, grinçant, des dents, faisait mine de se retrancher derrière un arbre. Pierrot se jeta devant lui ; et, relevant ses manches :

— Tous contre un ! s’écria le brave enfant, en v’là des canailles ! Approchez donc que je vous donne votre compte