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Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/92

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LES MENDIANTS DE PARIS

Mais la petite Marie avait reçu de la nature une complexion si faible que les travaux des champs devaient la briser. Elle avait quatre ans, lorsqu’un jour Pierre, alors âgé de huit, la rencontra chargée d’une masse d’herbes qu’on lui avait envoyé cueillir et pliant sous le faix. Le garçon, vigoureux et bien découplé, jetant le fardeau à terre, prit l’enfant dans ses bras et l’apporta à son père, en disant gravement qu’il amenait une journalière pour travailler au jardin.

Augeville reconnut tout de suite qu’il faudrait nourrir la petite fille, lui donner quelques sous par jour et la laisser jouer sur le gazon. Cependant il accepta le marché, d’autant plus que Pierre, agitant déjà ses poings fermés, annonçait qu’il allait se livrer à une de ces grandes tempêtes en cas de refus, et que le père Augeville avait pour système d’éducation de ne jamais contrarier son fils.

Marie fut donc installée dans la maison. Elle passait tout le jour à jouer, à manger des fraises et des noisettes, heureuse comme une reine, et, le soir, elle portait les trois sous qu’elle avait gagnés à une vieille femme paralytique qui la logeait dans sa cabane.

En grandissant, elle put se rendre utile dans les travaux du jardin qui n’exigeaient pas de force. Elle séparait dans les plates-bandes le bon grain de l’ivraie, rangeait les fruits dans les paniers, formait avec art les bottes de légumes, en mettant de côté, comme il est d’usage, la part du malheureux.

Elle s’instruisait en même temps dans l’art du jardinage. Pierre, passant ses bras autour de la taille de la petite fille, et guidant ses mains, lui enseignait à tailler les jets printaniers à l’endroit voulu, à poser et lier sur la tige du sauvageon l’œil qui y fera pousser de beaux fruits. Puis, s’enfonçant avec elle dans les plates-bandes de pois rames, il lui apprenait à relever en festons les grandes lianes échevelées qui se croisent en tous sens ; et ils erraient ensemble dans une espèce de forêt vierge où ils disparaissaient tous deux.

En ce temps-là, Pierre appelait Marie sa petite fille.

Le jeune garçon, habituellement doux et bon par excellence, dans de certains moments emporté et terrible, était toujours d’une humeur concentrée et quelque peu taciturne. Il ne se mêlait jamais aux jeux du village, n’avait point d’amis parmi les petits paysans. Toute son existence était renfermée dans l’enclos du jardin, toutes ses affec-