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Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/150

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les mendiants de la mort

Le moment était fixé pour dix heures du soir.

Lorsque la nuit vint annoncer l’approche de cet instant décisif, Herman sortit subitement de l’espèce de léthargie dans laquelle il avait été plongé ; et, par une réaction violente, il éprouva l’ardeur impétueuse de toutes les passions qui devaient l’agiter. La jalousie, la colère dévoraient son sang et allumaient en lui une fièvre insensée ; la honte dominait encore ces cruels sentiments.

C’était un ancien ami qu’il allait revoir dans de telles circonstances ; l’égalité autrefois établie entre eux s’était changée en une disproportion effrayante ! Il allait se trouver ruiné, déshonoré, en face de Léon Dubreuil, qui, à tous les autres avantages dont il pourrait l’accabler, joignait peut-être celui d’être préféré de Valentine !…

Pasqual apporta le dîner à l’heure habituelle. Les deux habitants de la mansarde restèrent longtemps à table, en face l’un de l’autre, pour faire passer le temps que l’appréhension, plus cruelle encore que tout le reste, faisait paraître d’une lenteur accablante.

Le repas terminé, Pasqual posa sa montre sur la table et en suivit l’aiguille du regard.

Ni lui ni son maître ne prononçaient une parole ; mais Pasqual versait souvent dans le verre d’Herman un vin blanc préparé pour réchauffer le courage, une espèce d’élixir auquel les malfaiteurs de profession eux-mêmes ont recours pour se procurer une ardeur étourdissante au moment d’un coup difficile ; et Herman, sans savoir ce qu’il faisait, buvait à coups pressés la liqueur excitante.

La montre marqua neuf heures et demie.

Herman et Pasqual se levèrent, s’enveloppèrent de manteaux. Pasqual prit sur lui du papier timbré, une écritoire de poche pour le cas où Dubreuil consentirait à accepter de nouveaux billets. Il emporta aussi une lanterne sourde et ce qu’il fallait pour faire du feu, disant que l’endroit où aurait lieu l’entretien n’était pas éclairé. Puis il tendit à son maître un jonc assez fort, dans le haut duquel était vissé un poignard.

— Pourquoi me donnez-vous cette canne ? dit brusquement Herman. Vous ne pensez pas sans doute que j’en aie besoin pour me soutenir… Et comme arme, je ne dois pas non plus l’emporter, puisque Dubreuil ne viendra sûrement pas armé à ce rendez-vous.