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Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/168

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les mendiants de la mort

Celui à la garde duquel il était confié lui avait inspiré dès le premier jour assez de confiance. C’était un homme d’une soixantaine d’années, du nom de Gauthier. Il avait une physionomie empreinte de quelque élévation et profondément triste. On voyait facilement que, peu fait pour les fonctions qu’il remplissait à la Force, il en éprouvait une grande répulsion. Il avait dû sans doute se prêter plus facilement que tout autre à un acte d’humanité, qui d’ailleurs n’était pas en dehors de son devoir, et pour lequel il n’avait eu à déployer qu’un peu de complaisance, et quelque habileté.

Mais qui donc avait pu se servir de cet homme, qui avait eu pitié du prisonnier de la Force, quand il ne pouvait sans effroi s’envisager lui-même ?

La seule personne dont il eût été doux à Herman de recevoir ces soins, Valentine, l’avait repoussé, méprisé quand il était bien moins criminel… Et tout ce qu’il pouvait espérer était qu’elle ignorât encore sa situation.

Herman s’arrêta à la supposition la plus naturelle. Il pensa que Pasqual, qui sous son apparence glacée se dévouait toujours avec tant de cœur, avait affecté tout l’argent dont il pouvait disposer à adoucir la situation de son maître, à rassembler autour de lui ces objets qui devaient bercer son esprit de rêves consolants.

Quelle que fût réellement la personne dont les soins généreux avaient veillé sur Herman, son attente ne fut point trompée. Le malheureux prisonnier éprouva un certain soulagement à se trouver dans cette cellule qui, ainsi décorée, lui rappelait si bien le passé, et où il pouvait vivre quelques instants d’illusions.

Herman, avec une âme où avaient toujours régné au milieu de ses égarements la bonté et l’humanité sainte, eût été trop malheureux en se voyant coupable d’un meurtre, quelles que fussent les circonstances qui l’avaient pour ainsi dire forcément amené ; il aurait souffert des tourments au-dessus de ses forces : la Providence, pendant ces jours d’épreuves, lui ôtait une partie de sa raison.

Il passa le reste de la journée occupé du changement mystérieux qui s’était opéré autour de lui ; il ne voulut pas même descendre à la promenade du soir et veilla bien tard dans sa chambre, heureux de pouvoir, grâce aux épais rideaux qui voilaient maintenant sa fenêtre, enfreindre la loi du couvre-feu et retarder l’heure de se mettre au lit,